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Leo remonta quatre à quatre les escaliers et sortit de l'entrepôt en direction des quais. Ewen lui courut après, sans parvenir à le rattraper avant qu'il n'arrive au bout du débarcadère, pantelant de colère. Un convoi attaqué à main armée, une cargaison volée, le restant saccagé, c'était du jamais vu. Il se serait cru aux États-Unis en pleine prohibition. Le clan n'avait pas eu de tels ennuis depuis...

La dernière fois, Ewen et lui avaient trois ou quatre ans, ils n'en conservaient presque aucun souvenir et leurs aînés n'étaient guère loquaces sur le sujet. Maintenant, ils en avaient vingt. Durant la dernière décennie, le clan avait vécu en paix, nul ne songeait qu'on pourrait les attaquer, leur vigilance s'était endormie, la sécurité des convois affaiblie : plus que trois hommes assignés, dont un seul armé. Le risque pour les braqueurs était minime, le gâteau énorme, pourquoi se priver ?

Les responsables de ce merdier, le clan les connaissait : des vampires vagabonds fraîchement débarqués sur le territoire. Il en arrivait, comme ça, quelquefois, qui commettaient des délits sans gravité : vandalisme, vols, voies de fait. Le clan les débusquait, puis les forçait à lever le camp. Quelques coups de bâtons suffisaient aux plus récalcitrants. Jamais aucun n'avait fait preuve d'agressivité... du moins jusqu'à présent.

La perspective des conflits se faisait jour dans son esprit tandis que son regard s'engloutissait dans le noir abyssal du canal. Il n'arrivait pas rejoindre l'autre rive où la ville scintillait. Son père était absent, et Leo – en tant que premier héritier – était le futur chef du clan : il devait en assumer les responsabilités. Ewen lui tapota l'épaule :

— Brouwer dit que nos réserves sont suffisantes pour que nous n'ayons pas à subir de restriction.

— Je sais. Mais, si ça se reproduit...

— On assignera plus de monde à la protection de la cargaison pour qu'ils ne puissent pas recommencer. Visser et mon père vont se charger de trouver leur planque, et tout rentrera dans l'ordre. »

Leo aurait aimé être aussi optimiste que son cousin, mais... sa mâchoire se serra. Les malfrats ne s'étaient pas contentés de s'emparer de la marchandise, ils avaient détruit tout ce qu'ils n'avaient pas pu récupérer. À ce stade, ce n'était pas seulement du vol, c'était une déclaration de guerre au clan tout entier. Ils devaient les empêcher de recommencer, et pour cela, ils devaient traiter la base du problème avant de s'attaquer au pied.

— Tu sais que les braqueurs connaissaient l'itinéraire ?

Les yeux gris d'Ewen s'ouvrirent tout grands derrière ses lunettes.

— Tu suggères qu'il y a une taupe dans nos rangs ?

— À ton avis ? Ils étaient au courant que nous aurions du retard, que la nuit serait tombée, et ils nous attendaient pile sur ce tronçon désert. Peu de personnes avaient été informées du changement d'itinéraire, et elles sont toutes présentes ce soir, à l'exception de ton père et du mien.

— Non, protesta Ewen. Jesse ne ferait pas ça.

— Tu sais que j'ai raison. Les règles sont les règles. Il faut les appliquer.

Sa voix s'était assombrie, son regard aussi. Ewen l'arrêta d'emblée.

— Nous devrions patienter jusqu'au retour de tonton.

— Papa est à Bruxelles. Le projet de loi européenne sur la traçabilité des marchandises ne doit pas être voté. Il ne rentrera pas avant un moment. Et nous, nous ne pouvons pas attendre jusque-là. Nous devons protéger notre réserve. Il faut qu'on la déplace rapidement, mais on ne pourra pas le faire tant qu'on n'aura pas fait le ménage dans nos rangs.

— Laisse Visser et le maître s'en occuper. Nous, nous devrions rentrer dormir. Demain, c'est la rentrée...

— Je dois le faire !

Dormir, et faire comme si de rien n'était ? Il savait pertinemment que certains se chargeaient du sale boulot, afin qu'eux n'aient pas à s'en inquiéter, que tous puissent de vivre en paix, et que des personnes comme monsieur Molenaar continuent de prier Dieu et de s'apitoyer sur la cruauté. Mais jusqu'à quand allait-on les couver ? Leo serra les poings d'un air buté. Ewen soupira. Il n'y avait rien à faire avec cette tête de cochon.

— O.K., on fera comme tu voudras, mais... le clan n'est pas davantage ta responsabilité que la mienne, Leo. C'est la nôtre à tous. Tu n'es pas obligé de faire quoi que ce soit. Ne laisse pas tes problèmes avec tonton te faire prendre de mauvaises décisions.

— Je sais ce que je fais.

Mais il avait une trouille monstre et pas la moindre idée de comment tout ça allait se terminer.

— Allons-y, Visser nous attend.

L'inspecteur se tenait au bout du quai. Le nettoyageétait fait. Ils retournèrent aussitôt à l'entrepôt, direction le cabinet del'administration pour écouter ce que les De Haas avaient à raconter.

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant