Un silence de mort succéda au chaos de la guerre. La mitrailleuse avait cessé de tirer, le train était passé ; et le bruit et la lumière avaient disparu sous un épais nuage de fumée. Des pas firent crisser le gravillon. Le nez enfoui dans leurs coudes pour se protéger des émanations toxiques, Leo et maître Takeda remontaient la voie ferrée. La lueur des diodes orange était engluée comme des lucioles prisonnières d'un cocon d'araignée dans la toile de poudre qui les aveuglait. Leurs oreilles voilées percevaient quelques éclats de voix, mais les sons leur semblaient lointains, tamisés dans cette atmosphère lourdement plombée.
Une silhouette opaque émergea sur le sol obscur entre les deux traits métalliques des rails. Sin rampait à quatre pattes en poussant des jurons de douleur. Un pied sous son abdomen la retourna comme une crêpe et la pointe d'un sabre releva l'éminence de sa pomme d'Adam.
— Toujours vivant ? demanda Leo, le pistolet braqué sur lui.
Les deux vampires du clan le dominaient, debout et armés. Avec le trou dans son fessier, l'ennemi ne pourrait pas leur échapper, ce n'était pas pour autant qu'il devait gentiment se laisser attraper. Sin expédia un énorme molard sur une botte du maître. Les narines de Leo se dilatèrent en expirant une bouffée ardente, son regard cherchait au ciel la force mentale de ne pas céder à la violence, cependant il ne trouva aucun salut et fondit sur le vagabond. Une décharge de taser saisit Sin, ses muscles se rétractèrent comme de la viande grillée et il ne remua plus. Leo sortit les menottes en poussant un soupir satisfait :
— Comme ça, il fera plus chier.
Visser, appelé par talkie-walkie, rappliqua pour remonter le captif sur la plateforme où les mitrailleuses se tenaient encore debout sur leurs jambes. Dans leur viseur, derrière les lambeaux de fumée, des ombres s'agitaient, d'autres gisaient inertes sur le sol. Leo serra la mâchoire et s'avança. Il voulait savoir : qui était mort ? qui était blessé ?
Le docteur Müller venait d'arriver sur place avec une équipe médicale. Ils s'affairaient autour de trois corps étendus sur le béton. Deux se trouvaient dans un état grave, plaie au cou et au thorax, ils devaient être opérés en urgence. Quant au troisième avec sa veine fémorale perforée, il avait eu le temps de dégorger tout son jus avant d'être garroté. En retrait, un homme était allongé sous une bâche. Mort.
Parmi les valides, deux étaient assis le long du mur sous des couvertures de survie. Ils n'avaient que des égratignures, leur mental, a contrario, avait été sévèrement touché par la vue de leurs camarades tombés, et l'un d'eux demeurait perclus dans une stupeur inquiétante. Le dernier, un gringalet de l'âge de Leo, veillait à l'exécution des consignes d'hygiène et d'alimentation données par le personnel soignant, qui avait mis à leur disposition une trousse de premiers secours, des barres de chocolat, ainsi qu'un thermos fontaine de soupe.
Leo avait l'impression de se retrouver dans un film de guerre après une bataille. La confusion régnait dans cette obscurité enfumée, et pourtant le clan s'organisait sans qu'il comprenne comment cela fonctionnait. Leo demanda d'un ton rêche :
— Comment vont les blessés ?
— Trois sont dans un état critique, monsieur, expliqua le jeunot. Ils doivent être transportés à l'hôpital.
— Ils ont perdu trop de sang, ajouta un des hommes assis, les yeux dans le vague.
— Le docteur Müller procède aux transfusions, mais le nombre de poches risque d'être insuffisant.
— Je vois..., répondit Leo d'une voix blanche.
Il était presque aussi choqué que ceux sous les couvertures de survie. Personne ne l'avait informé des détails, mais avec sa connaissance des méthodes du clan, l'héritier savait que depuis l'attaque des vagabonds, les réserves avaient été transférées en zone périurbaine, probablement à Leuwendale, où V. B. Industries possédait des usines agricoles, l'acheminement jusqu'en centre-ville prendrait un moment, or c'était maintenant qu'ils en avaient besoin pour stabiliser la condition des blessés avant de les évacuer. Les chances de survie d'un vampire dépendaient de la quantité dont on disposait. Et ils étaient trois en grande demande. Cela représentait des litres de plasma dans lesquels le cerveau de Leo incapable de calculer sombrait.

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Clan V
ActionLes temps ont bien changé depuis l'époque glorieuse où les vampires de légende chassaient les êtres humains pour se repaître de leur sang. Faibles et anémiés, dépourvus de crocs, ils comptent aujourd'hui sur le clan pour survivre. Avec ses membres i...