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Ava ouvrit l'eau de la douche. Une sensation glaçante de solitude l'inonda. Leo venait de quitter le domaine, dans l'intention probable de se calmer, mais peut-être pas avec l'état d'esprit qu'il fallait. Ava redoutait toujours son impulsivité, qu'il fasse quelque chose de stupide ou de risqué.

Elle chaparda un paquet de chips en cuisine et remonta lire sur son lit les tomes de Blade que Marius lui avait prêtés. L'horloge murale ponctuait le vaste silence du château de ses tics monotones. Ava s'était assoupie quand la chaleur de Leo se propagea en un frisson le long de son échine. Une poignée cliqueta. Elle bondit hors de sa chambre, direction le balcon pour apercevoir la lumière jaillir dans la pièce d'à côté. Aussitôt, elle toqua à la vitre voisine et se glissa à l'intérieur.

Leo ne remuait pas de sa position allongée comme un cadavre en étoile sur son matelas, les jambes ballantes dans le vide.

— T'es sorti ?

— Ouais, répondit-il, les yeux hagards scotchés au plafond. Je suis passé voir Ewen.

— Ah.

C'était un « ah » lourd de constats qui devinait qu'Ewen et lui n'avaient pas fait que discuter. Elle reconnaissait cette voix pâteuse, cet air vaseux, ses globes oculaires rouges : il pataugeait encore englué dans la fumée visqueuse des cannabinoïdes. Elle s'assit sur le lit. La tête de Leo pivota sur son axe cérébro-spinal.

— Je te demande pardon pour tout à l'heure.

— Pas grave.

— J'aime pas quand on se dispute.

— Moi non plus.

Ava releva ses jambes et ramassa ses genoux contre sa poitrine. Son regard plongea en silence dans les cercles grisâtres d'un nœud de bois. Leo tira le frêle membre sur lequel elle s'appuyait et l'assaillit de ses mains chatouilleuses. Ava s'esclaffa :

— Qu'est-ce que tu fous ?

— Je mets fin à cette stupide querelle !

Et il agaça ses flancs de plus belle. Elle roula sur le côté, mais il l'entoura de ses bras et la ramena en arrière contre lui. Son nez se fouilla un chemin au creux de son cou. Leo s'enivrait, rien qu'en sniffant son odeur naturelle, un cocktail de phéromones plus puissant que la MD, avec un petit goût d'opiacé qui le transportait au paradis des rêves éveillés. Elle était sa came préférée. Pas moyen d'y renoncer.

— Ava, marmonna-t-il, tu sors vraiment avec ce mec ?

— Non. C'est juste un pote. Y'a pas de guimauve entre nous. Seulement des zombies.

— Dieu merci ! J'ai pas envie de te partager...

Sa poitrine se comprima à cette idée, et il la serra douloureusement contre lui, reprenant dans son cou une bouffée.

— Ça me manque, balbutia Ava.

— Quoi ?

— Toi.

Elle s'était retourné pour le regarder, et lui répondre droit dans les yeux un « toi » bien appuyé. Leo caressa sa joue. Son pouce effleura la pulpe de ses lèvres. Il redressa aussitôt sa vue chancelante et bredouilla d'une voix enrouée :

— Toi aussi, tu me manques.

— Alors pourquoi on revient pas comme on était avant ?

— Parce que c'est impossible.

— Mais pourquoi ?

— Parce qu'on a grandi et que les choses changent.

— Je veux pas que ça change...

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant