Tessa avait pleuré longtemps sans pouvoir s'arrêter et Leo était resté tant bien que mal à ses côtés, planté sur un banc devant la piscine, alors qu'il aurait préféré être partout plutôt qu'avec elle. C'était interminable, pénible, culpabilisant, et cependant infiniment moins douloureux que le chagrin qu'elle éprouvait et dont il portait l'entière responsabilité. Il lui avait récupéré des serviettes en papier auprès de mangeurs de pizza pour qu'elle puisse s'essuyer. C'était la moindre des choses et déjà son maximum.
— Tu ne m'as jamais vraiment aimé ? demanda-t-elle sans oser le regarder, le nez enfoui dans un carré de cellulose.
— Je pense que si, répondit-il en essayant d'être le plus honnête possible. En tous cas, je le croyais...
— Quand ?
— Je sais pas. Par moments, je doutais, à d'autres, je me disais que t'étais la meilleure chose qui me soit arrivée...
— Cet été, à Madrid ?
— Complètement. J'avais jamais été aussi heureux !
À ces mots, Tessa, interloquée, se retourna avec vivacité :
— Alors, pourquoi t'as...
Les accents véhéments de sa voix moururent au dernier mot violemment étranglé dans son gosier. Elle éclata en sanglots. Et Leo demeura médusé. Comment expliquer ce qui s'était passé ? Madrid, c'était quelques jours avant la rentrée. Il baissa la tête. Si seulement ils étaient restés à Madrid, si seulement Marius n'avait pas débarqué, si seulement il n'était amoureux d'Ava pour commencer... Mais cela, il devait l'accepter, arrêter de fuir ses sentiments, de se mentir à lui-même et à tout le monde, et assumer. C'était pour cette raison précise qu'il était venu, ce soir, à la fête. Leo enfonça la tête entre les épaules. Sa voix émergea, tremblante et presque inaudible de son estomac :
— J'éprouve un truc pour une autre fille... Depuis... très longtemps...
Tessa se braqua. Ses yeux, tout écarquillés, laissaient apercevoir les fins capillaires sanguins qui lézardaient leur sclère mouillée.
— Depuis quand ?
— Depuis... avant qu'on se rencontre. J'ai essayé de l'oublier, un paquet de fois... Ces six derniers mois, j'y étais presque arrivé...
— Mais tu l'as revue ?!
C'était bien plus une affirmation qu'une question. Leo expliqua :
— Plusieurs fois... Tant que je réussis à l'éviter, je peux me distancer, je m'intéresse à d'autres filles, je l'oublie à moitié... Puis, il se passe un truc, je la revois, et là, ça repart en vrille, elle recommence à m'obséder, je perds le contrôle... Et je fais de la merde...
— La rentrée ! s'exclama Tessa. C'est là que tu l'as revue ! Parce qu'elle est entrée à l'université cette année !
— Oui...
— Elle est ici ?
— Oui...
— Elle a des sentiments pour toi ?
— Je pense pas... J'en sais rien.
— Et elle est au courant de ce que tu ressens ?
— Je crois pas... J'ai essayé de le lui dire... mais jamais clairement... J'ai toujours eu la trouille de connaître sa réponse. Mais, après ce qu'il s'est passé, j'ai beaucoup réfléchi. Je voulais vraiment pas te faire de mal, et je veux plus que ça se reproduise. Alors, j'ai décidé ce soir de l'affronter et de tout lui avouer...
Tessa blêmit comme si elle eut vu un fantôme. Devant elle, une silhouette se dessinait, et cette silhouette avait un visage : celui de la vérité. Cette fille que Leo aimait depuis toujours, elle était là, quelque part dans ce penthouse, il était là pour elle et elle l'attendait.
Pour qui Leo avait-il changé d'avis et décidé de venir ?
Qui avait-il averti de sa présence à la dernière minute ?
Qui avait-il téléphoné à son arrivée ?
Comment s'appelait cette nana pour laquelle il s'était battu avec Kees ?
Et pourquoi n'avait-il jamais mentionné pendant leurs six mois de relation l'existence de cette sœur prénommée Ava ?
La grande vamp en collant résille qu'elle avait aperçue dans le salon d'Aruna réapparut soudain devant son regard terrifié. Elle la toisait du sommet de son mètre soixante-dix-sept, perchée sur ses échasses de top model, si haute, si séduisante, si froide. Tessa avait pâli un instant face à son charisme ensorcelant, elle avait pâli en songeant que Leo la connaissait. Parce que son instinct de femme le lui murmurait : elle ne supportait pas la comparaison avec une rivale d'une telle beauté. Et Tessa comprit soudain le malaise qu'elle avait toujours éprouvé à l'égard d'Ava, et pourquoi elle tenait tant à s'assurer de son soutien, alors que cette dernière n'avait pas l'air de se sentir concernée. Ses lèvres formulèrent en tremblant cette question dont elle avait déjà deviné la réponse :
— Cette fille, c'est quoi son nom ?
Et Leo, à son tour, blêmit en voyant apparaître devant lui ce superbe visage de marbre froid qui portait le nom de la vérité.

VOUS LISEZ
Clan V
AksiLes temps ont bien changé depuis l'époque glorieuse où les vampires de légende chassaient les êtres humains pour se repaître de leur sang. Faibles et anémiés, dépourvus de crocs, ils comptent aujourd'hui sur le clan pour survivre. Avec ses membres i...