Clan V

#31 Jeu de rôle (part 1)

Leo avait éteint son portable. Les appels manqués ne se comptaient plus, les messages sur son répondeur s'accumulaient. Il n'y avait pourtant qu'un seul et unique numéro affiché sur son journal : celui de Tessa. La jeune fille le harcelait d'appels depuis la soirée, et c'était précisément parce qu'ils venaient d'elle que Leo ne supportait pas d'entendre son portable sonner. Que pouvait-il lui dire après la façon dont il lui avait brisé le cœur ? Il ne voulait pas l'affronter, elle, et pas affronter le connard qu'il était. Le poids de la culpabilité, et plus encore la honte incommensurable et le dégoût profond de lui-même l'horrifiaient à tel point qu'il refusait par lâcheté de constater l'ampleur du chagrin qu'il lui avait infligé. Il avait recommencé. Encore une fois, il avait sauté sur la première fille qui passait pour oublier celle qu'il aimait, un acte destructeur qui, dans son explosion, avait détruit, en même temps que son peu d'estime personnelle, un cœur que tous les jours pendant six mois, il avait prétendu adorer.

Il était une loque infâme, vraiment pénible à regarder. Ewen, dans ces moments-là, le laissait s'ankyloser dans la déprime, tout en surveillant du coin de l'œil qu'il ne lui vienne pas une idée géniale pour se suicider. Il s'était déjà refait un tatouage à l'aide d'une épingle sur le bras, une simple petite barre semblable à d'autres, qui entaillaient le bas-relief bleuâtre et turgide des veines de son poignet. Encore une pour se punir et se soulager, exposer à la vue de tous son nouveau méfait, l'inscrire au registre de ses erreurs, et souffrir dans son corps la souffrance psychique qu'il ne pouvait plus endurer. Il était en pleine redescente depuis la soirée chez Kees. Ses consommations déréglées le tuaient. Il remonterait, Ewen le savait, d'ici quelques jours à la prochaine dose de sang, une dose normale pour se rééquilibrer. En attendant, il lui servait de répondeur. Tessa avait fini par l'appeler, en pleurs, désespérée, elle voulait parler à Leo, discuter, comprendre ce qu'il s'était passé...

« Je suis désolé, Tessa. Je sais qu'il a grave merdé, soupira Ewen, mais je peux rien pour toi. Il est en mode autruche. Il n'y a pas grand-chose à faire pour le moment. Je lui dirais de te rappeler. »

Même Visser s'était rabattu sur lui, après être tombé quatre fois sur la boîte vocale de son cousin.

« On a du nouveau sur la came vendue par les vagabonds. On a coincé un client hier, lors d'une patrouille dans le quartier rouge, le batteur d'un groupe d'électro-rock underground.

— Hier soir ? Tu as un nom ?

— Erik Garrels de Heat The Beat. Il sortait d'une scène ouverte à ce qu'il raconte. Il a reconnu Kob sur les photos qu'on lui a montrées. Apparemment, ce petit con deale souvent dans les concerts, pour le compte d'un type qui se fait appeler Prodigy. Et devine quoi ? Bingo, plusieurs agressions dans les environs correspondent au mode opératoire des vagabonds. Ça réduit notre zone de recherche. Hornman possède des établissements dans le quartier. Il fait déjà surveiller ce qui tourne.

— Tu sais où avait lieu l'open mic ?

— Eh bien, il s'est pas montré très causant là-dessus. On l'a épinglé sur Bloedstraat. L'endroit doit pas être clean. Pourquoi ? T'as une idée ?

— Pas vraiment, mais je connais un magasin de musique dans le coin. Le patron a l'air d'être au parfum.

— Tu veux qu'on aille se renseigner ? proposa l'inspecteur.

— Non, j'aime bien le patron. Je sais pas s'il est en règle. Je veux pas lui filer des problèmes avec la loi. Je lui demanderai moi-même dans la journée.

— Eh oh, va pas te mettre en danger, surtout. Ton père me tuerait. T'es avec Leo, là ?

— Non, j'ai cours. Mais, je suis libre dans l'après-midi.

— Ok, je te fais confiance. Tiens-moi au courant. De notre côté, on essaie de remonter la piste du fabricant. »