Clan V

#62

— Hé, Ji', il fout quoi, Ez' ? Wendel et toi, vous allez quand même pas passer la soirée à servir des poivrots !

Rik venait de surgir par un minuscule petit trou entre les clients, les deux mains en avant pour s'agripper au comptoir.

— Sam et Candy devraient pas tarder.

— J'espère ! Je vais devoir vous enlever Ted.

— Vous commencez plus tôt ? s'étonna Ji'.

— Bah, ça se bouscule pas au micro. Les gens vont partir avant si ces gamins la bouclent pas un peu, grommela Rik en se hissant sur un tabouret.

Il se retourna vers l'estrade où un trio de boutonneux scalpait la même phrase dans un Anglais très approximatif depuis trois minutes. Ted releva la tête du buffet de l'arrière-bar et renchérit :

— C'est clair !

— Ji', tu veux pas monter sur scène et chauffer la salle, par hasard ? lança Rik.

— Elle pourrait faire ça ? demanda Ewen, intrigué.

— Et comment, qu'elle pourrait faire ça ! s'exclama Ted.

— Vous vous souvenez qu'on est coincés au bar ? leur rappela Ji'.

— Ah, mais il abuse, Ez' !

— Hé ! s'écria Ewen. Ce ne serait pas lui là-bas ?

— Où ça ?

— Juste là.

Ji' se colla à lui pour voir ce qu'il voyait, Rik s'était retourné dans la direction qu'il avait indiquée, mais malgré la clarté des LED du bar, avec le monde qui stagnait, le champ de vision était limité. Ewen, cependant, avec son mètre quatre-vingt-quinze, jouissait d'un panorama étendu où il pouvait apercevoir cette vieille branche d'Ez' dont la tête s'élevait à une égale distance du sol, bien au-dessus de la mêlée. Il s'attendait à ce que ce dernier vienne les saluer, mais il fila droit sur les coulisses. Rik se mit debout sur une traverse de tabouret et distingua à son tour l'éminence crânienne dont les cheveux gras tirés en catogan réfléchissaient parfaitement la luminosité bleue ambiante. Sans perdre un instant, il bondit de son perchoir en hélant :

— Hé ! Ez' ! Où tu cours comme ça, vieux !

Ez' se retourna. En arrière, deux femmes s'arrêtèrent aussi. Après un bref échange, elles les abandonnèrent et prirent la direction du bar.

L'une était basanée, la trentaine, une gazelle d'un mètre quatre-vingt, à la musculature découpée. Ses cheveux étaient rasés sur les côtés et formaient au milieu de son crâne une épaisse crête tressée. Vêtue d'une brassière au motif de drapeau américain, d'un mini-short en jean et de bottes montantes en cuir, elle avait l'air d'une cow-girl du pays de l'oncle Sam.

L'autre, plus jeune, blanche, petite avec des formes plantureuses, lui opposait un vif contraste, tant dans sa physionomie que dans son look de lolipunk peroxydée, coiffée comme un épagneul papillon aux pointes fuchsia. Son tutu barbie et son corset de lingerie formaient un ensemble de danseuse burlesque très girly sur laquelle tranchaient le vinyle noir et le métal froid d'un blouson clouté et de cuissardes à talons compensés.

Le duo n'était pas encore arrivé que Ted rendit son tablier et sauta par-dessus le comptoir, sur le tabouret vacant de Rik, tandis que Ji' faisait le tour pour venir à leur rencontre, abandonnant Ewen seul aux commandes avec la fiche des tarifs boissons.

— Sam ! Candy ! s'exclama-t-elle. Où est Sacha ?

— On l'a laissée chez Faust, répondit Sam.