#33 Jeu de rôle (part 3)

11 1 7
                                    

Il brûlait. Les vagabonds étaient autour de lui, anonymes ; leur planque se trouvait là, quelque part, invisible. Cette certitude l'envahit lorsqu'il posa les pieds au Hookah Lounge où Ji' le conduisit, un Coffee Shop du coin qu'elle connaissait bien, et qui était précisément celui dont Visser et maître Takeda avaient retrouvé une serviette en papier chez Kob. Le patron quitta son comptoir pour venir la saluer en personne. Elle demanda :

« Vous avez pu réparer la clim ?

- Ouais, franchement, merci à vous. Vous nous avez bien aidés. »

Il installa les deux jeunes dans un petit salon marocain isolé, à l'abri derrière de longs voilages pourpres qui filtrait la lumière, les regards indiscrets et la musique. Il n'en restait qu'un fond sonore aux notes orientales qui, en se fondant dans l'air, l'emplissaient de langueur. Elles se mêlaient aux vapeurs de narguilés et aux fragrances de fleur d'oranger de la lampe à huile, dont le baume se répandait en glacis doré sur les tentures à motifs qui habillaient les murs de plâtre écaillés. De larges coussins étaient disposés sur un tapis à franges autour d'une table basse en bois équipée d'un cendrier. Ils formaient à même le sol un petit nid douillet, très intime, et un brin romantique qui mit instantanément la pression à Ewen. Un genou relevé, il affichait une attitude faussement décontractée. Ji' assise en tailleur ne semblait pas perturbée dans cet environnement qui lui était familier. Ewen lui proposa de prendre un verre, ce qu'elle refusa, et commanda un thé à la menthe. Lui pour une fois, se serait bien laissé tenter. Il sentait qu'il commençait à s'inhiber. Mais, comme elle ne buvait pas...

« Sérieuse ? fit-il remarquer. J'aurais pas dit.

- Comment ça ? s'insurgea-t-elle. Tu crois que parce que je suis comme ça, je suis du genre à déconner ?

- Non pas vraiment, bredouilla-t-il. Mais, dans les concerts, le milieu musical, ça consomme pas mal... »

Il sortit sa tabatière pour se rouler un joint. Ji' rétorqua :

« Pas sérieux ? J'aurais pas dit.

- Ouais, je sais, répondit Ewen sans se vexer. J'en ai pas l'air comme ça, mais c'est mon vice. Et toi ? Est-ce que t'en as ?

- À part la musique, je crois pas... Mon frère était un junkie. Il est mort comme un con, pété dans un fossé. Je me suis juré après ça de jamais toucher à toutes ces merdes...

- Je comprends. J'ai failli perdre un proche, comme ça, il y a deux ans.

- Ça a pas dû être facile, lui dit-elle au observant son visage s'assombrir.

- Non, en effet, soupira Ewen en recrachant une bouffée. Le pire, c'est qu'il est toujours dedans. C'est encore plus dur de rester là, à le regarder se foutre en l'air sans pouvoir rien faire.

- Tu devrais lui coller ton poing dans la figure et le cogner jusqu'à ce qu'il comprenne.

- Ah, ah ! rigola Ewen. Je devrais essayer ça. »

Même s'il savait pertinemment qu'aucun coup n'aurait d'impact sur Leo dans l'état d'abrutissement profond où le désespoir l'avait rendu. Le serveur déposa sur la table une théière brûlante et deux verres marocains.

« Tes potes consomment aussi, non ? demanda Ewen. Rik a été arrêté pour détention de stupéfiants. Il avait quoi sur lui ?

- De la Cannibale. Je l'aime bien, Rik, mais c'est un crétin. Je lui ai dit que c'était de la merde, mais il a pas voulu m'écouter.

- La Cannibale circule à mort dans les concerts, non ?

- Plutôt. Mais dans les milieux étudiants aussi, pas vrai ?

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant