Ava avait appelé l'ascenseur, ils descendirent au sous-sol où « la bête » était garée.
— Le plus important quand tu seras dessus, tu serres bien les genoux, les pieds sur les cales, et tu suis mes mouvements : je penche, tu penches, je redresse, tu redresses...
— Tu sais, je peux encore aller prendre le train, suggéra Ava devant son air stressé.
— Tu as à ce point-là peur de monter avec moi ?
— Pas autant que toi.
Oui, il balisait. Sa moto n'était pas adaptée à la prise d'un passager, et la première et dernière fois qu'elle était montée avec lui, ça ne s'était pas bien passé, précisément à cause de son extrême nervosité.
Il avait tout juste seize ans à l'époque, et venait de recevoir son premier deux-roues pour son anniversaire. L'avoir dans son dos l'avait tellement stressé, qu'il s'était planté dans le décor alors qu'il roulait à deux à l'heure. Elle n'avait pas eu une égratignure, mais lui avait écorché son amour-propre pour encore quelques dizaines d'années et n'avait plus osé lui proposer de monter jusqu'à aujourd'hui.
Elle ne se rendait pas compte de ce que ça représentait pour lui, du bonheur, de la peur, de toutes ses émotions intenses qu'elle générait. Il avait beau essayer de se raisonner, il ne pouvait s'empêcher de s'emballer. L'excitation grimpait, et la pression avec. Il ne voulait pas se planter. Il devait se calmer. Il n'avait plus seize ans, il avait pris de la bouteille, il avait connu des bécanes, il avait connu des nanas : il n'allait quand même pas se vautrer comme un puceau dans le caniveau !
— Je vais rouler en douceur. Tu feras juste attention sur l'autoroute, ajouta-t-il en se frottant la nuque, je vais accélérer, il faudra bien t'accrocher à moi...
— OK. On monte comment sur ce truc ?
— Bah, par-là, et tu enjambes.
— J'enjambe ?
— Oui, tu soulèves tes grandes guiboles et tu passes par-dessus. J'ai des copines qui font quinze centimètres de moins que toi, qui y arrivent très bien.
Ava lui jeta un regard pas très rassuré et enfila le casque pour couper court à la conversation. Leo vérifia l'équipement avant de démarrer. Le ronronnement de l'engin faisait remonter les gazouillis de son bas-ventre. Il s'apprêtait seulement à la reconduire à la maison, mais le voyage serait pour lui d'une tout autre dimension. Il allait traverser l'enfer et le paradis sur ces quelques kilomètres, tout ça juste parce qu'elle était avec lui.
La moto leur imposait de trouver un équilibre entre leur poids, leurs vies en balance sur la selle pour ne pas tomber. Il se déplaçait souple, preste, agile, entre les flots automobiles pour s'extirper tout doucement du labyrinthe urbain et rejoindre la rocade autoroutière. Prendre de la vitesse, sentir l'air se fendre devant soi, le vent filer contre ses jambes, et Ava dans son dos qui se raccrochait à lui, épousait ses mouvements, ceux de la bête qui se penchait lentement dans le virage de la voie d'accélération, il lui semblait presque pouvoir s'envoler. Il conduisait comme sur nuage, en suspension dans un état second, les trépidations du moteur les faisaient vibrer à l'unisson : une sensation de faire corps avec elle et l'engin, en même temps.
Leo s'arrêta en face du grand portail du château de Leuwijck et actionna le bip de l'ouverture automatique. Une société de gardiennage affiliée au clan s'occupait de sécurité, mais elle gérait surtout la vidéosurveillance. La présence sur le terrain s'était considérablement réduite au fil des années. La maison, une forme massive, carrée et sombre qui s'élevait sur le ciel nocturne, se trouvait au bout de l'allée. Elle tournait devant le gigantesque porche péristyle et se prolongeait en direction des garages. Leo se parqua sans prendre la peine d'entrer. Le moteur cessa son ronflement. Ava retira son casque et s'ébroua. Leo s'enquit :
— Ça va ? C'était pas si terrible ?
— Ça va, répondit-elle. Je ne suis pas morte.
Elle lui envoya le casque dans les côtes et le laissaen plan, seul avec son antivol à accrocher. Il ne lui demandait pas un« merci », mais elle aurait quand même pu l'attendre.
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Clan V
ActionLes temps ont bien changé depuis l'époque glorieuse où les vampires de légende chassaient les êtres humains pour se repaître de leur sang. Faibles et anémiés, dépourvus de crocs, ils comptent aujourd'hui sur le clan pour survivre. Avec ses membres i...