#41 La plus loyale des amies

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Leo ne répondait toujours pas. Depuis deux jours qu'elle bombardait sa boîte vocale de messages, Molly s'était d'abord agacée, elle avait pesté, fini par l'insulter, mais maintenant, elle commençait sérieusement à s'inquiéter. Leo était un salaud, mais c'était un salaud sensible. Sa rupture avec Tessa l'avait forcément affecté, et ce, même s'il l'avait cherché. C'était son côté masochiste : Molly avait eu bien des occasions de voir jusqu'où il pouvait aller, et ça n'était pas pour la rassurer. Là, tout ce qu'elle voulait, c'est qu'il décroche pour vérifier qu'il n'avait pas réussi à se foutre en l'air. En désespoir de cause, elle avait piqué sur le smartphone d'Ava un selfie que Marius avait pris en sa compagnie et le lui avait envoyé avec comme simple légende : « Ava et son nouveau copain. » Sur ce coup, elle jouait son va-tout : s'il ne sortait pas de son trou avec ça, c'est qu'il était six pieds sous terre déjà.

Molly consulta sa messagerie, mais toujours aucune notification. Ava et Marius avaient cours toute l'après-midi. Elle n'avait rien d'autre à faire que de passer au tutorat comme le lui avait proposé ce carabin de quatrième année, un petit métis café au lait américano-néerlandais, dont la mère était à l'université une chirurgienne réputée, et dont le père, plus fameux encore, opérait dans un grand hôpital new-yorkais. Andy Johnson, qu'il se nommait, un nom qui exportait tout le prestige des États-Unis et en ajoutait à son impressionnant pedigree, si bien que tous les patients l'appelaient déjà monsieur le docteur, alors qu'il entamait à peine sa formation clinique. Trop gringalet pour l'intéresser, il avait tout de même un beau teint basané et une bouche pulpeuse à souhait.

« Molly Muller ? Vous êtes la fille du docteur Muller ? » lui avait-il demandé à son inscription.

Il avait lu sa fiche de présentation. L'admiration avait embrasé son regard sombre.

« Votre père est mon maître de stage. J'ai suivi toutes ces recherches sur les hémopathies héréditaires. »

Aussitôt, il s'était porté volontaire pour l'aider dans son parcours universitaire. Depuis, ils avaient eu quelques opportunités de discuter : la médecine le passionnait, il ne parlait que de techniques opératoires et d'études sur la génétique. Molly le trouvait intéressant, mais un peu redondant, et un brin pédant aussi. Elle lui envoya un message pour le prévenir de sa venue. Son téléphone sonna aussitôt en réponse. Andy n'était pas au bureau, mais il se tenait à sa disposition si elle avait des questions. Sa cadette de première année lui exposa les difficultés qu'elle rencontrait à la compréhension de certains passages du Gray's Anatomy, ce qui le fit rebondir sur l'étude pratique de la chirurgie. Impossible de placer un mot : il ne s'arrêtait plus, une fois lancé sur le sujet. Molly s'assit sur un banc de la faculté. Un bip lui signala un double appel : elle le négligea une première fois, mais il se répéta une seconde, puis une troisième fois. Un tel acharnement ne laissait que peu de doute sur l'identité de l'appelant. Elle coupa court au soliloque d'Andy pour décrocher.

« Oui Leo ?

- Ah, bah, c'est pas trop tôt ! Je viens d'arriver à la faculté de médecine. T'es où ? »

Mais elle n'eut pas besoin de lui expliquer : il surgit à l'angle d'un bâtiment.

« Ah ! Je te vois ! » s'écria-t-il en raccrochant et il lui hurla à distance :

« C'est quoi cette histoire avec Ava ?

- Bonjour Leo ! » soupira Molly lorsqu'il se planta en face d'elle.

Mais il n'avait pas le temps pour les formalités.

« J'ai écouté tes messages ! C'est quoi ces conneries ? Dis-moi qu'au moins, il n'y a rien entre eux !

- Calme-toi ! C'est juste un copain. Du moins, pour l'instant.

- Comment ça "pour l'instant" ?

- Bah, ils passent tout leur temps ensemble, sur le campus et à l'extérieur. J'aurais jamais imaginé qu'Ava puisse être proche de quelqu'un comme ça, en dehors de toi et moi... »

Leo se prit la tête entre les mains, tout près de s'arracher les cheveux. Un rugissement remonta des profondeurs de sa poitrine et le cabra en arrière comme un cheval furibond. Ses yeux se révulsèrent au ciel dans un élan désespéré. Sa bouche psalmodia des « putain ! » sans s'arrêter. Molly l'avait rarement vu dans cet état : il avait l'air paniqué.

« Qu'est-ce qu'il a raconté à Ava, cet enfoiré ?

- Ce que je t'ai dit. Des conneries.

- Mais quoi exactement ?

- Qu'il y avait des rumeurs qui circulaient sur votre famille... Que vous étiez de dangereux criminels, des terroristes ou peut-être même des vampires... Des trucs plus absurdes les uns que les autres...

- J'y crois pas ! Il sort d'où ce type ? Je vais le buter !

- Calme-toi ! C'est pas ça, le problème. Je suis pas bête, Leo ! Et Ava est peut-être longue à la détente, mais elle ne l'est pas non plus. Il y a un point sur lequel Marius n'a pas tort : vous lui cachez des choses. Tu crois que ça ne se voit pas ? Tu crois que je n'aurais rien remarqué ? Depuis le temps que je vous connais ? Il faut que tu lui parles ! Que vous lui parliez ! Ça a assez duré. »

Le Leo trépignant d'angoisse, d'impatience et de rage, à deux doigts d'exploser l'instant d'avant, s'enraya net pour laisser place à un Leo pâle, vacillant, tout près de s'écrouler.

« Tu crois que je ne le sais pas, ça ? gémit-il, la gorge nouée. Si tu savais combien de fois j'ai failli tout lui balancer ! Mais c'est pas si facile... Tu crois qu'elle voudrait savoir si elle savait que ça nous foutrait en l'air, la vérité ?!

- Faut que t'arrêtes de baliser ! T'es vraiment un pleurnichard quand tu t'y mets ! Ava t'aime, Leo ! Et ça, je suis sûre que peu importe ce qu'il se passe, ça ne va pas changer. Mais, plus vous tardez, plus elle vous en voudra. Pas parce que vous lui mentez, mais parce que vous la tenez à l'écart ! Elle a l'impression que tu la rejettes, Leo ! Il faut que tu assumes pour une fois ! Pas comme avec Tessa. Tu sais que ton ex est venue nous trouver ?

- Oh, merde ! C'est pas vrai... »

Leo se laissa tomber sur le banc à côté de Molly. Son dos se voûta, sa tête se recroquevilla entre ses épaules, son visage se déroba derrière ses mains : toute sa personne ploya sous le poids de la culpabilité.

« Je suis vraiment qu'une petite merde...

- Oui, la dernière des dernières de l'univers ! acquiesça Molly dans un immense soupir. Allez, viens me faire un câlin ! »

Elle l'entoura de ses bras. La poitrine de Leo seregonfla de fierté masculine. Il se redressa pour la repousser, mais pas tropquand même, juste ce qu'il fallait pour sauver sa dignité, parce que lescâlins, au fond, il adorait. Alors, même s'ils ne venaient pas de celle qu'ilaimait, il n'aurait pas refusé ceux de la plus loyale amie qu'il avait depuistoutes ces années.

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant