#6 Chapitre 2

18 2 5
                                    

Les deux cousins étaient des blondinets aux yeux clairs. Ewen – le teint plus pâle, les cheveux mi-longs, souples – arborait un style chic décontracté, un sens de l'élégance inné grâce auquel il arrivait à rendre aussi distingué qu'un smoking, un jean déchiré. De fines lunettes argentines et une barbe délicatement dessinée parachevaient cet aspect soigné de jeune premier, dont le visage émanait autant de tendreté dans ses joues rosées que de fermeté dans ses arêtes tranchées. Avec son mètre quatre-vingt-quinze et sa silhouette élancée, Leo avait parfois l'impression de se promener à côté d'une gravure de mode.

Lui – plus petit mais d'un physique plus musclé, les cheveux blond foncé rasés sur les côtés – se passionnait surtout pour les tenues de moto, les treillis et les rangers de militaire : bottes et blousons constituaient l'essentiel de sa garde-robe au quotidien, un look assurément plus agressif que complétait un léger laisser-aller, de nouvelles pousses dorées sur ses maxillaires et quelques cicatrices de guerre qu'il se plaisait non sans une certaine fierté à exhiber. C'était un poseur, bien plus que son cousin en vérité, avec un sourire ravageur, un regard allumé, des expressions qui donnaient du feu à un visage encore frais.

Les garçons partageaient une chambre en collocation dans le centre de Rammestad. Ils y dormaient la semaine et rentraient chez leurs parents à Leuwendale, le week-end, même si, emportés par leur vie estudiantine, ils leur arrivaient parfois, souvent, d'oublier la visite familiale hebdomadaire.

Ewen étudiait le droit. Le clan avait besoin de juristes et d'avocats, alors, on l'avait gentiment poussé sur cette voie, dans les pas de papa, et comme il n'était pas d'une nature rebelle, et que cette discipline ne lui déplaisait pas, il avait accepté sans faire d'histoires.

C'était un élève brillant qui faisait la fierté de ses parents, il aurait pu choisir n'importe quelle filière, intégrer n'importe quelle grande école, mais il avait préféré suivre son cousin à l'université de Rammestad au désespoir de sa mère, Adelheid Winbeck née Van Bloed, qui le voyait déjà partir à Oxford ou à Cambridge. Ce fut son acte de rébellion le plus marqué, devant lequel cette dernière avait fini par capituler, moins parce qu'il avait insisté que pour la raison fort commode que l'établissement se situait à une heure de voiture, et que son fils adoré pouvait rentrer régulièrement à la maison.

La réussite de ses enfants était sa plus grande préoccupation : elle avait toujours surveillé de près leur scolarité. Encore maintenant, elle feuilletait les cahiers de son garçon et ne pouvait s'empêcher de l'appeler le jour de la rentrée pour s'assurer qu'il était réveillé. Autant dire que cette chambre d'étudiant lui donnait une bouffée d'air frais tant son ogresse de mère l'étouffait depuis qu'il était né, même si l'angélique petit Ewen ne s'en plaignait jamais.

Leo avait atterri sur les bancs de la faculté d'économie, parce que c'était la suite logique après un cursus en économie et société. Ses résultats scolaires chutaient d'année en année, à tel point que l'ombre de redoublement se profilait à l'horizon avec de plus en plus de netteté. Il avait plusieurs matières à repasser et l'obtention de son baccalauréat s'annonçait compliquée. Non qu'il soit bête, mais il avait des accès de narcolepsie dès qu'un professeur discourait, surtout avec le manque de sommeil accumulé à enchaîner des soirées un peu trop arrosées. Car ce qui l'avait toujours intéressé à l'école, c'était s'amuser avec sa bande de copains.

À l'université, Leo avait trouvé le peuple dont il avait besoin pour exister : Ionel dans sa classe en économie, Malik en éducation physique, Eddy en sciences pédagogiques, Sven en philosophie, les jumeaux Van Essen qui entraient pour la troisième fois en première année. Ils vivaient avec lui en collocation ; et chacun ramenait ses camarades de faculté, auxquels s'ajoutaient les camarades des camarades, puis les copines des copains et les copines des copines. Tout ce beau monde constituait un réseau arachnéen de relations dans lequel Leo, comme un roi au milieu de ses sujets, se promenait.

Mais se faire des amis, être constamment entouré, c'était surtout un moyen de se sentir aimé, même s'il était un vil vampire, un junkie, un faible ou un petit garçon sans maman. Leo avait quatre ans quand Angelika Van Bloed était décédée, et il avait grandi avec un manque affectif à combler.

Alors quand il avait rencontré Tessa, la femme parfaite, il avait enfin cessé de papillonner. C'était une reine de beauté, rousse aux yeux verts, des éphélides guillerettes, un rire qui tinte comme une clochette. Depuis six mois : c'était appels matin et soir, textos en longueur de journée, toujours ensemble à toutes les soirées, ils formaient le couple le plus lovey-dovey de l'université.

Ce genre de relations était précisément ce qu'Ewen fuyait. Une petite amie, ça téléphone tous les jours, ça veut constamment être au courant de ce qu'il fait et ça se vexe s'il ne la recontacte pas au bout de vingt-quatre heures. Hors de question de se faire harceler : une seule mère lui suffisait, il avait besoin d'espace, d'indépendance, il avait besoin qu'on lui fiche la paix. Mais pour son cousin en manque d'amour maternel, une fille comme Tessa, c'était pile ce qu'il lui fallait.

Pour cette raison, Ewen se taisait, même s'il savaitque Leo n'était pas tout à fait honnête avec elle, tout comme il n'était pastout à fait honnête avec lui-même. Leur couple renvoyait une image tropparfaite dans laquelle Leo se complaisait, une image rassurante de normalitéqui lui permettait d'oublier un instant la réalité de sa vie de vampire, sesmensonges, son double jeu, son cœur brisé. 

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant