La pluie tombait depuis le début de la matinée, en bruine légère, mais ininterrompue, si bien que l'université était engorgée d'humidité. Onze heures venaient de sonner, mais la foule d'étudiants avait déjà envahi restaurants et cafés pour s'y abriter. Même la bibliothèque était bondée : Marius et Ava ne disposaient que quinze minutes pour emprunter des ouvrages et photocopier ceux qu'ils ne pourraient pas emporter chez Marius où ils avaient prévu cet après-midi de travailler sur leur exposé, et peut-être aussi, un petit peu de jouer. La mère de ce dernier passait les chercher avant l'heure du déjeuner, mais la file devant la photocopieuse n'avait pas diminué depuis qu'un étudiant avait eu la grande idée de reproduire page par page un manuel qui en comptait deux cents, plutôt que de l'acheter pour un prix similaire à la librairie d'à-côté.
— Hé, les inséparables ! héla Sofie.
Valentyn acquiesça par un gloussement de dinde aux mots acides de sa copine. Ava grommela :
— Qu'est-ce que vous voulez ?
— Le professeur Ziegers attend Marius en salle classe, expliqua Valentyn.
— Pourquoi ? demanda l'intéressé.
— Qu'est-ce, on en sait ? rétorqua Sofie. T'as qu'à aller le voir.
— C'est du mytho ! grogna Ava.
— Hé ! Nous on a transmis le message ! Vous faites comme vous voulez.
Sofie et Valentyn tournèrent les talons en leur jetant des regards méprisants. Marius soupira :
— Je vais y aller.
— Mais les photocopies ?
— Bah, tu t'en occupes ? Je reviens vite.
Il semblait résolu. Ava n'insista pas. Il enfila son coupe-vent framboise et disparut derrière les portiques de la bibliothèque. La salle de classe du professeur Ziegers se trouvait au dernier étage du bâtiment de travaux dirigés où personne d'autre que ses élèves ne venait jamais, et il fallait encore traverser tout le corridor blanc, flanqué de hauts rectangles noirs avant d'y arriver.
— Marius Van Hout ?
Il se retourna. Un mec se tenait dans l'encadrement profond des murs, sous l'enfilade des LED rondes du plafond. Un étudiant comme lui, mais pas d'un genre bon élève, une sorte de bad boy vêtu d'une veste en cuir camel. La capuche d'un sweat kaki obombrait son front sinistre. Il campait sur ses jambes, mains dans les poches, dans une posture pas franchement engageante devant l'accès à la cage d'escalier.
— Oui ?
L'individu s'approcha de lui en s'étirant nonchalamment le cou.
Sa capuche tomba en arrière. Son visage apparut sans ambiguïté.
— Tu sais qui je suis, n'est-ce pas ? Donc, tu sais ce que je veux.
— Désolé, je ne suis pas sûr de comprendre, bredouilla Marius en reculant.
— Ne joue pas au plus malin ! Je sais ce que tu racontes sur nous ! Je veux que tu laisses ma sœur tranquille !
— Pardon, mais c'est qui ta sœur ?
— Te fiches pas de moi, tête de con ! »
Leo vit rouge. Il se jeta sur Marius. Ce dernier l'agrippa, une main à la manche, l'autre au collet, tout en pivotant pour l'esquiver. Leo emporté par son propre élan bascula par-dessus la jambe de Marius et atterrit sur son séant. Il s'était fait retourner par le gentil petit garçon à la chemise dans le pantalon qu'il avait clairement sous-estimé.
— Je ne vois pas de qui tu parles, rétorqua Marius. Puisqu'Ava est humaine, elle ne peut pas être ta sœur, pas vrai ?
Il montrait enfin son vrai visage. Leo repartit à l'attaque sur-le-champ.
— Fils de pute ! Je t'interdis de l'approcher !
Mais, son adversaire esquiva un coup, puis un autre et encore un autre, et la fureur qui obscurcissait son jugement s'effaça sous le trait de terreur qui poignait sur son front.
— Il y a un truc que je ne pige pas, dit Marius en reculant hors de portée. Ava, elle a même pas l'air de savoir ce que vous êtes ! A quoi vous jouez avec elle ?
— Ça te regarde pas !
— Je m'inquiète pour elle ! C'est pas moi le danger, ici ! Moi, au moins, je suis humain, je suis comme elle, tu vois ?
Mais son dos heurta l'extrémité du corridor. Leo le colleta et le plaqua au mur.
— Tu vas tout lui balancer ? demanda-t-il d'une voix étranglée. Fais-ça et je te jure...
— Leo ! Lâche-le !
Ava avait surgi de la cage d'escalier. Au regard qu'elle lui jeta, le sang de Leo se glaça. Il relâcha Marius et bégaya :
— Ava, écoute...
— Viens Marius, on se casse !
Elle le tira par le bras vers les escaliers. Ils descendirent quatre à quatre les degrés. Leo sur ses talons geignit :
— Ce gars, il est pas ce que tu croies...
— Ça suffit, Leo ! Marius est mon ami ! Que ça te plaise ou non !
— Il est dangereux !
— Tu dis ça alors que t'étais en train de le menacer ?!
— Il se sert de toi pour nous atteindre !
Leurs éclats de voix résonnèrent de haut en bas de la cage d'escalier. Ils arrivèrent dans le hall du rez-de-chaussée. Leo attrapa Ava par le pull et la força à se retourner.
— C'est la vérité ! Je veux juste te protéger !
— Ça suffit, Leo ! J'ai pas de temps à perdre avec tes conneries ! Marius et moi, on doit bosser sur notre exposé !
Elle arracha son bras. Plus rien de ce qu'il ferait ou dirait n'avait de prise sur elle. Leo, désespéré, tenta une dernière fois :
— Ava, je t'aime... S'il te plaît, t'en vas pas...
Mais elle s'élança avec Marius sous les pilonnements du ciel, déchirant le brouillard d'un coup de parapluie. Il avait le cœur brisé. Elle était partie sans se retourner, avec un autre, serrée contre lui comme deux tourtereaux sous un dôme de toile cirée d'un cliché de carte postale.
Il avait enfin la certitude que son soi-disant copain constituait une menace, mais elle ne le croyait pas.
Comment pouvait-il la protéger si elle refusait ?
Comment pouvait-il la protéger en étant lui-même la cause du danger ?
Comment pouvait-il la protéger tout en restant éloigné ?
La confiance indéfectible qu'elle lui vouait dans leurs jeunes années semblait s'être perdue dans le fossé qu'il avait creusé pour la préserver depuis qu'il avait compris qu'ils vivaient dans deux mondes séparés.

VOUS LISEZ
Clan V
ActionLes temps ont bien changé depuis l'époque glorieuse où les vampires de légende chassaient les êtres humains pour se repaître de leur sang. Faibles et anémiés, dépourvus de crocs, ils comptent aujourd'hui sur le clan pour survivre. Avec ses membres i...