Clan V

#67

Ewen et Ji' restaient dans la fosse tandis que Rik et sa bande prenaient la relève sur scène. Le public en délire les bousculait. Ji' renversa la tête en arrière contre sa poitrine. Ewen vit ses lèvres bouger, mais impossible d'entendre ce qu'elle disait. Ji' attrapa son bras et l'entraîna hors de la foule.

— Trouvons un endroit plus calme, lança-t-elle.

Les tables étaient toutes occupées. Il restait bien deux places au bar, vendues en prime avec son joyeux voisinage d'ivrognes et les commentaires bien choisis de Candy. Ji' opta pour les coulisses. L'acoustique était moyenne, la vue, médiocre, mais au moins, personne pour les ennuyer, et le niveau sonore leur permettrait de tenir une conversation sans s'égosiller.

Ils se faufilèrent derrière le grand rideau à l'avant duquel Rik et sa bande jouaient et rejoignirent la seconde sortie de scène, si peu utilisée qu'Ez' y stockait son matériel de bricolage autour d'un échafaudage mobile.

Dans l'embrasure de la toile noire, ils pouvaient entrevoir le concert, à l'abri des décibels et des lumens, comme des regards indiscrets. Le rythme s'était ralenti. La guitare de Ted se faisait langoureuse, et berçait le public de riffs pop-rock, mêlés à la morbidesse si sensuelle des loops reggae que produisait la caisse claire de Rik. Ji', blottie contre Ewen, se balançait.

— Alors, tu penses quoi de leur groupe ? lui demanda-t-elle.

— Bah... après tout ce que j'avais entendu sur Ted, je m'attendais à ce qu'il soit pourri, mais en vrai... il assure.

— Ah, oui ! acquiesça Ji' en riant. Bah, le truc avec Ted, c'est que quand il est pas sur scène, c'est un boulet : t'as l'impression qu'il sait pas jouer, pas chanter, il en branle pas une, et il empêche tout le monde de répéter, mais quand il arrive en concert, il déchire grave, le public l'a dans la peau... c'est un génie de la scène, Ted, et c'est ce qui fait chier Rik en fait.

— Tu m'étonnes ! Mais t'as rien à lui envier. Vous étiez géniaux, tous les deux, pendant le final.

— Pourtant, je suis loin d'être aussi à l'aise, avoua Ji'. Si vous ne m'aviez pas poussé, j'y serais pas allée. Je suis gênée quand tout le monde me regarde comme ça. Sur scène, tu peux tellement pas te cacher...

— Eh bien, ça ne s'est pas vu du tout. Tu devrais avoir davantage confiance en toi.

— Je sais. Mais, c'est cette sale habitude de vivre cachée... Quand on est en marge du système, l'anonymat est notre meilleur allié.

— Tu ne devrais pas avoir à te cacher. Tu as tant à offrir...

— Tu es sérieux quand tu dis ça ?

— Très.

— Ça m'étonnerait que la police de Rammestad soit de cet avis.

— Ce sont des idiots.

— Tout le système est idiot, alors.

— Alors, nous devrions le changer.

— Tu vas le changer pour moi ? demanda-t-elle avec sarcasme.

— Peut-être bien, répondit Ewen avec gravité. Tu seras avec moi ?

— Tu délires...

— Est-ce juste du délire selon toi ?

Ewen resserra son étreinte autour de Ji'. Le rythme chaloupé de la musique imprimait en elle un doux déhanchement, une caresse ensorcelante de son bassin qui emporta le sien dans son mouvement. L'ivresse lui monta à la tête. Ewen piqua du nez et termina sa course dans le cou de Ji'.