Clan V

#73 Chapitre 22

***

— Ewen !

La voix de Ji' l'enroba d'une sensation chaude réconfortante. Elle caressa doucement sa joue. Il cligna les yeux sans parvenir à les ouvrir. La souffrance avait aliéné son corps à sa conscience et une lancinante résistance dans la moindre de ses fibres l'empêchait d'en reprendre le contrôle.

— Ewen ! Lève-toi !

Le vacarme assourdissant de la cheminée d'aération envahit ses conduits auditifs et secoua son esprit endormi. Il s'était hissé au creux d'une immense alvéole, à un mètre du sol, recouvert d'une grille, où un ventilateur géant brassait l'air de la surface, afin de se reposer à l'abri des trains et de la vue des vagabonds...

Les vagabonds ! Il devait déguerpir, mais son corps endolori refusait de se mouvoir. Des bras salutaires le redressèrent. La clarté fendit ses paupières, et dans l'entrebâillure apparut un ange éblouissant de liberté, descendu du ciel pour le sortir de cet enfer. Il pantela :

— Ji'... Aide-moi...

Un flash vert fluo l'aveugla. Un museau noir s'approcha comme pour le renifler et grommela à son oreille :

— Personne ne viendra te sauver.

Ewen écarquilla les yeux. La sinistre silhouette d'Anubis se recula sur le contre-jour crépusculaire des diodes orange. La peur le plaqua au mur. Il devait fuir. À tout prix. Son instinct le lui commandait. Alors sans réfléchir, il roula sur le côté et rampa jusqu'à la grille d'accès.

Il avait l'air d'un poisson hors de l'eau qui luttait de toutes ses forces pour se remettre à flot. Debout, impassible, Prod-DJ le suivait du regard, et aussi lentement que sa cible progressait, son corps, peu à peu, s'activait : son cou pivota, puis son tronc se retourna, enfin, ses jambes s'ébranlèrent. Il sauta sur la voie ferrée où Ewen fuyait au maximum de ses possibilités, dans cet état de débilité mentale et physique qui l'empêchait de réaliser son absurdité. Plusieurs fois, il faillit tomber. Prod-DJ cheminait tranquillement derrière lui, en s'arrêtant de temps à autre pour maintenir ces quelques mètres remplis d'espoirs qui séparaient sa proie de l'inéluctable.

Un sifflement croissant dans les profondeurs du tunnel annonça l'approche d'un train. Ewen s'élança sur les rails avec l'idée insensée de se réfugier derrière le monstre de métal. Prod-DJ se crispa. À la vitesse où ce pauvre fou se déplaçait, aurait-il seulement le temps de traverser ? La rame déchira l'air entre eux et emporta l'image d'Ewen.

De l'autre côté, le miraculé grimpa sur la plate-forme de béton. Son regard confiant se porta en avant et rencontra Sin et BigJah qui l'attendaient de pied ferme.

— Tu te barres sans dire au revoir ? C'est comme ça qu'elle t'a élevé, ta salope de mère ?!

Ewen, terrifié, repartit en sens inverse. Un éclair vert jaillit devant lui. Un coup de casque en pleine face le repoussa en arrière, le menton relevé, parfaitement positionné pour se faire récupérer par un uppercut du droit. Nul besoin d'un enchaînement compliqué.

Ewen s'étala par terre, complètement sonné, et rampa sans savoir où il allait. Sin écrasa sa tête comme un insecte sous sa semelle et éclata de rire devant ses vaines gesticulations :

— Putain ! T'es une petite bouse bien chiante, toi ! T'as voulu jouer à cache-cache... dommage, t'as perdu ! Maintenant, c'est à mon tour de faire mumuse !

Il fit tournoyer son couteau entre ses doigts.

— Je vais te dépecer la peau du visage et m'en faire un abat-jour !

— Laisse-le-moi, intervint la voix vocodée. Je me charge d'expliquer à ce fils de pute dans quel merdier il s'est fourré.

Sin retira sa basket avec un rictus sadique. Prod-DJ le colleta, le rejeta au sol devant lui et s'accroupit sur son torse. Alors, il ôta son casque, et la haine de son regard éteignit dans le cœur d'Ewen la dernière lueur d'espoir. Ji' arma son poing bardé de métal au-dessus de son front.

— Faut qu'on parle, chéri...

Et le premier crochet d'une longue série lui faucha le nez...