Le rideau de voile pourpre s'ouvrit. Ji' chavira en arrière. Un jeune garçon se tenait dans l'entrebâillement, tout essoufflé. Un teint de miel doré, brun, coiffé d'une crête iroquoise, ses joues glabres et charnues étaient rougies par l'effort de sa course. Il n'avait pas encore commencé sa puberté et conservait encore dans son visage des rondeurs juvéniles, alors que son corps mince et fort élancé, en pleine croissance, avait déjà atteint une taille adolescente. Ses deux grandes incisives d'adulte ressortaient, énormes, de sa mâchoire d'enfant. Il observa quelques secondes la scène devant lui, puis ses lèvres se refermèrent sur sa grande dentition et formèrent une moue très pincée. Ses yeux d'un beau caramel au lait se chargèrent de plomb et fusillèrent Ewen.
« Snakie ! s'écria Ji', surprise et gênée. Qu'est-ce tu fais là ?
- Sacha est pas bien ! Uma Baba veut que tu viennes !
- Ne dis pas que cette ordure de Faust ? rugit Ji' en se levant promptement. Il l'a encore battue ? »
Snakie bégaya une réponse incertaine, tandis que Ji' fouillait la poche de son blouson en jean pour payer.
« Et merde, j'ai pas de monnaie...
- C'est pas grave, lui dit Ewen. Je vais payer.
- Mec, je suis désolée ! Je te rembourse ça de suite.
- Ça presse pas... »
Mais elle y tenait. Ewen retira un billet dans la liasse de coupures qui garnissait le compartiment arrière de son portefeuille. Le trio quitta le coffee shop. Ji' courrait presque. Ewen suivait, non sans peine, grâce à ses grandes jambes. Snakie qui se faisait distancer, s'élança pour les rattraper, bouscula Ewen en passant, et se retourna pour lui adresser une grimace, le doigt sous l'œil, la langue tirée, laquelle signifiait : « t'as aucune chance, vieux ringard ! » Sacha se trouvait au centre de dépistage. Celui-ci avait pour but de limiter les risques liés aux MST au sein de la population sensible du quartier, mais leur domaine d'action dépassait largement le cadre de leur mission initiale. Travailleurs sociaux et personnel médical se relayaient pour assurer une permanence, les bénévoles proposaient une assistance psychologique, et une salle d'injection supervisée avait été adjointe à l'infirmerie grâce aux fonds associatifs. L'entrée se situait un peu en retrait, à l'abri des regards dans une maigre ruelle, perpendiculaire à une avenue très fréquentée, et attenante au laboratoire qui faisait l'angle, où les prélèvements étaient directement analysés.
Ji' poussa violemment la porte et bondit dans le petit hall où une femme décharnée patientait avec son gamin qui jouait sur le tapis du coin enfant. Propres et décorés, les locaux bien plus joyeux que les fantômes aux visages hâves qui les fréquentaient tentaient d'offrir un peu de confort à une population désabusée. Ji' traversa en coup de vent et pénétra dans une pièce adjacente, un bureau qui servait à la fois de secrétariat et de salle de consultation. Une jeune femme - svelte, la peau blanche, très pâle, les cheveux blonds peroxydés, - était allongée en chien de fusil sur un sofa. Elle était vêtue très légèrement, d'un mini-short et d'un débardeur avec de longues bottes de cuir doré. Sa tête se cachait dans les plis de la jellâba pourpre au col brodé que portait, assise à ses côtés, une grande dame basanée, imposante tant par sa largeur que par sa hauteur, et fort bedonnante. Un gros chignon de cheveux crépus trônait comme une couronne impériale au sommet de son crâne. Des bracelets émaillés ceignaient ses poignets gras. De lourds pendants de métal ciselé et de jaspe ornaient ses oreilles. La dame se leva pour venir à leur rencontre. Ewen observa son visage à la mâchoire puissante et aux joues rasées de près. Malgré le rouge à lèvres et les faux cils, c'était un visage masculin, à n'en pas douter. Il freina un mouvement de recul instinctif.
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Clan V
AcciónLes temps ont bien changé depuis l'époque glorieuse où les vampires de légende chassaient les êtres humains pour se repaître de leur sang. Faibles et anémiés, dépourvus de crocs, ils comptent aujourd'hui sur le clan pour survivre. Avec ses membres i...