Leo prit place dans un fauteuil en face du grand bureau de chêne auquel le responsable du personnel était attablé. Ils s'entretinrent sur le déficit des stocks, conséquence de l'attaque du camion. Le jeune chef suggérait un rationnement préventif, mais le docteur le déconseillait vivement : ces mesures prématurées généreraient d'inutiles mécontentements, alors que décongeler des produits sanguins labiles suffirait à pallier le besoin immédiat et qu'une augmentation du réapprovisionnement dans les mois suivants compenserait progressivement les pertes subies. Et puis...
— Nous disposons d'une réserve secrète avec sa propre source d'alimentation. Seuls quelques membres connaissent son existence, mais elle permet au clan de survivre en période de vaches maigres...
Dans tous les cas, Jäger rentrerait bientôt. Leo ne devait pas s'inquiéter. L'année débutait. Comment se débrouillaient Molly et Ava ? Les avaient-ils croisées ? Leo grinça des dents en répondant qu'elles avaient l'air de trouver leurs marques à l'université. Il garderait un œil sur elles, compte tenu des circonstances, et poussa un soupir d'exaspération. Ce n'était pas en jouant les baby-sitters qu'il deviendrait le prochain chef du clan...
Le docteur Müller se dirigea vers un réfrigérateur dans lequel il conservait des échantillons de laboratoires pharmaceutiques.
— As-tu une trousse isotherme ? J'ai ta dose spéciale.
Leo acquiesça et lui tendit une pochette bleue équipée de plaques de glace.
— Des aiguilles ?
— J'en ai racheté hier.
Le docteur Müller se rassit à son bureau et lui rendit la trousse.
— Bien. J'ai eu un entretien avec ton père avant son départ. Nous avons décidé d'augmenter la dose.
Leo ouvrit le zip. À l'intérieur : deux cartouches de sang au lieu d'une. Il adressa une moue perplexe à son médecin qui expliqua :
— Il y une vignette sur chaque cartouche : une rouge et une bleue. La bleue contient 125 ml, la rouge 75 ml. Tu commences avec la bleue, et tu vois comment tu te sens. Si au bout de deux heures, tout va bien, tu prends la rouge. Surtout, tu ne forces pas. Au moindre doute, tu t'arrêtes à la bleue. Tu te rappelles ce qu'il s'est passé quand tu avais douze ans ? Alors, ne prends pas de risque.
— Mais il y a quoi, là-dedans ? Je dois prendre ce truc, ça peut me tuer, et je sais ni ce que c'est ni pourquoi !
— Ce n'est pas à moi de te répondre. Moi, mon boulot, c'est de te remettre la dose, ce que tu en fais, c'est toi que ça regarde. Tu es grand, maintenant, Leo, tu prends tes décisions, si tu n'es pas d'accord pour continuer le traitement, c'est ton droit, mais ce n'est pas à moi que tu dois dire ça.
— Bien sûr ! Vous, ça vous concerne pas !
— Bien sûr que si. J'ai ma part de responsabilité. Ton père a fait des choix à l'époque... ni bons ni mauvais... Et j'étais d'accord à ce moment-là. Mais aujourd'hui, tu en souffres et tu n'as pas à subir ça. Parle-lui. Je pense qu'il en a conscience, et je suis sûr qu'il regrette sincèrement. Il t'aime, tu sais, beaucoup plus qu'il ne le montre.
Leo cligna des yeux, détourna la tête et serra la mâchoire autant qu'il pouvait pour ne pas laisser l'émotion le submerger maintenant que les gonds de la colère avaient cédé sous l'effet du soulagement de se sentir enfin écouter.
— J'en ai marre ! gémit-il. J'ai l'impression d'avoir la tête constamment sous l'eau en ce moment. Je ne sais si c'est cette histoire avec les vagabonds, ou Jesse, ou autre chose, mais je n'arrive plus à gérer...
— Je ne suis pas diplômé de psychologie, malheureusement, et les psys pour vampires, ça n'existe pas. En revanche, je peux te proposer un peu d'hypnose et quelques exercices de relaxation. Ça peut valoir le coup d'essayer, tu sais ?
— Non merci, je crois que j'ai ce qu'il faut là-dedans !
Il secoua la housse réfrigérante et s'esclaffa avec amertume :
— Double dose ! Avec ça, je ne vais pas redescendre, je vais rester coincé avec les anges au septième ciel...
— Ne plaisante pas trop là-dessus. Le clan a besoin de toi.
Leo sourit faiblement et se leva pour partir. Ça lui remontait le moral, de se sentir utile, et le docteur Müller, en lui parlant ainsi, le savait : Leo était une tête brûlée, avec une sensibilité à fleur de peau et un mal fou à gérer ses émotions, mais c'était un garçon aimant, courageux et dévoué. Sa faiblesse était la même que celle de son père : elle lui venait du cœur. Tout ce qu'il espérait, c'est que le second n'ait pas à en souffrir autant que le premier.
— Passe mon bonjour aux filles, et dis à Ava de ne pas oublier notre rendez-vous mensuel.
— Ouais. J'y vais. Bonne journée.
VOUS LISEZ
Clan V
ActionLes temps ont bien changé depuis l'époque glorieuse où les vampires de légende chassaient les êtres humains pour se repaître de leur sang. Faibles et anémiés, dépourvus de crocs, ils comptent aujourd'hui sur le clan pour survivre. Avec ses membres i...