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Son corps était un amas de chairs turgides et douloureuses. Son visage surtout. Il était emplâtré dans un masque qui le tiraillait, un masque de meurtrissures par-dessus celui qu'il était, et cette enveloppe emprisonnait sa volonté comme elle était elle-même prisonnière du fourgon où il se trouvait.

On l'avait installé contre la cloison en position assise, solidement arrimé au rail latéral par des sangles de sécurité, comme les bagages qui l'encadraient. Mais, on s'était appliqué à lui administrer les premiers soins : bras en écharpe, attelle au poignet, pansement en croix sur le nez, on l'avait même couvert d'un plaid après lui avoir ôté sa chemise ensanglantée.

Le crissement d'un pêne qu'on tirait hors de sa gâche agaça ses oreilles. Une porte s'ouvrit. Les pas d'un homme fit rebondir le sol d'aluminium sous ses fesses. Un deuxième suivit, avec un mouvement de ressort similaire. Des sachets se froissèrent, puis quelqu'un s'exclama :

— Y a du poulet pané, des beignets de crevettes et des frites.

— Oh ! C'est la fête ?

— On les a eus gratuits au food truck où travaillait BigJah.

Ewen entendait, mais ne voyait pas qui parlait, calé entre des cartons et une cantine, avec son champ de vision limité, les piles de boîtes bloquaient la lumière de la lampe de camping, qui jetait de grandes ombres de son côté, et sans ses lunettes, la seule chose qu'il distinguait, c'était BigJah en face de lui qui mangeait un cornet de frites hypercholestérolémiques.

— Avale un truc, Ez. T'as l'air d'un cadavre ambulant tellement t'es blanc.

— Hé ! Vous allez le tuer d'un infarctus avant les Van Bloed avec ça !

Ewen reconnut la voix de Ji, mais le timbre sépulcral qui lui répondit le fit tressaillir :

— Elle va comment, notre belle au bois dormant ?

Il se claquemura aussitôt derrière ses paupières.

— Il a pas arrêté de roupiller, mâchouilla BigJah, la bouche pleine.

— Je vais devoir l'embrasser, on dirait !

Une sensation de mort imminente l'étreignit. Un poids venait de s'appesantir sur la cantine à côté de lui, et il pouvait sentir la masse se pencher au-dessus de sa tête. Ewen s'empressa de réouvrir les yeux qu'il avait cru plus prudent de garder fermés. Sur sa gauche, il y avait un énorme quadriceps moulé dans un pantalon de cuir noir. Le colosse se tourna vers lui, et la grosse voix retentit :

— Mais c'est que notre princesse est réveillée, en fait !

C'était Amadeus Drake, le chef présumé des vagabonds et le fameux big bro de Ji, un quintal de muscles articulés équipé d'une mâchoire à crocs pointus. Sa large paume se posa dans son dos et empoigna ses cervicales :

— Tu te souviens de ce que je t'avais dit ? Hein, Wenje ? Je peux continuer à t'appeler comme ça ? Ça dérange pas ? Parfait !

Le colosse descendit de son siège et s'accroupit en face de lui. Sa main glissa autour de son cou et s'arrêta en collier sur sa gorge. La pointe assassine de son regard se planta entre les yeux d'Ewen.

— Tu peux pas dire que je t'avais pas prévenu, et je peux vraiment pas laisser passer ce que t'as fait. Alors, j'ai pas le choix, tu comprends ?

Amad lui fracassa le crâne contre la paroi métallique du fourgon. Ewen redressa la tête et grommela :

— Fais-toi plaisir. Je m'en fiche.

La fureur dressa Amad sur ses jambes. Son pied bondit et se logea dans l'abdomen d'Ewen. Ez surgit dans son dos et le tira en arrière.

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