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« Ava. »

Ce nom était sorti comme un tabou de sa bouche et racontait à lui seul tout ce que depuis le début de son récit, Kees avait tu. Debout devant lui, Ava demeurait d'une inflexible droiture. Il baissa la tête d'un air coupable.

— Je suis désolé. Je n'ai pas pensé au tort que je causais quand j'ai montré cette photo. Pour moi, cette fille n'existait pas à ce moment-là. C'était juste une image...

Kees lui tendit son smartphone.

— C'est le seul exemplaire que j'ai conservé. Mais, je crois qu'il est temps qu'elle soit rendue à son propriétaire. C'est à toi de la supprimer et de mettre un terme à cette histoire.

Ava se vit sur l'écran en train de ronfler, assez lourdement, les seins à l'air, dans une position proprement indécente. Kees scruta sa réaction avec autant d'inquiétude que de curiosité. Mais ses traits ne bougèrent pas, son expression demeurait d'une neutralité parfaite, quand tout à coup, elle s'exclama :

— Ah, oui ! Je me souviens ! C'était pendant la canicule, l'été avant que Leo entre à l'université, quand il est parti dans les îles grecques avec Ewen. Moi, je suis restée à Leuwendale. La climatisation de sa chambre était cassée. Comme il s'en allait, il ne l'avait pas fait réparer et il avait verrouillé la porte pour m'empêcher de squatter... Mais il y avait la télé. Alors, dès qu'il s'est barré, je l'ai crochetée pour jouer à la PS4.

« Le problème, c'est qu'il est rentré un jour plus tôt que prévu et qu'il m'a gaulé dans son lit en train de pioncer. J'ai dû me désaper pendant que je dormais tellement il faisait chaud. Enfin, je crois... Ça m'a pas marqué. Par contre, et ça, je m'en souviens ! Leo a complètement pété les plombs. Il s'est mis à gueuler comme quoi il pouvait plus vivre dans cette baraque... Et il a décidé qu'il lui fallait son propre appartement.

Kees resta coi. L'anecdote grotesque au possible déclamée d'un air décontracté rompait avec le drame douloureux qu'il venait de lui conter sur le ton de la gravité, ce qui tendait à montrer le peu de cas qu'Ava faisait de ce portrait d'elle nue qui lui avait coûté personnellement un nez cassé, avait rendu Leo fou de rage, et avait causé un énorme scandale, lequel avait fait le tour de l'université.

— Eh bien, ce n'était vraiment pas la réaction à laquelle je m'attendais ! hoqueta-t-il de surprise.

— Ah ? Tu t'attendais à quoi ?

— La photo se passe de commentaires ! Tu devrais être en colère ! Après moi ! Après Leo !

— Probablement.

— Est-ce qu'au moins tu comprends ce que cette photo sous-entend ?!

— Ça semble évident.

— Ça l'est !

— Donc, l'effacer ne changera rien, conclut froidement Ava. Mais, si tu penses que ça te permettra de mettre un terme à cette histoire avec Leo, alors... vas-y, il ne tient qu'à toi.

Ava lui rendit le téléphone et s'avança vers le grand mur vitré. Elle écarta les deux pans hyalins. Dans la fente, l'air extérieur s'insinua, avec le brouhaha de la piscine, les éclats de voix, les battements de musique, avec cette masse d'ondes sonores qui charriaient dans son cours les innombrables influx d'énergies, que chaque chose, chaque être émettait, formant une bourrasque de sensations qui traversa sa matière plus cristalline que le verre.

Ava aspira profondément et sortit sur le balcon dans une lente expiration. Le second étage était ceint d'une galerie ouverte que des écrans de séparation compartimentaient entre chaque pièce. Derrière la cloison de chèvrefeuille, le robuste garde-corps, avec ses jardinières intégrées, se poursuivait le long des chambres à coucher et à son extrémité, en contrebas, brillaient les lanternes dorées de la terrasse et le turquoise phosphorescent du bassin d'eau chlorée. Ava s'appuya sur la rambarde. Kees pencha la tête dans la direction qu'elle fixait.

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant