Clan V

#61

— C'est quoi, ça ? demanda Molly.

Armée d'une brosse, elle avait dégagé la cou d'Ava et révélé une marque rouge. Aruna, installée devant elle avec les cinq tiroirs déployés de sa mallette à maquillage, lui tendit un miroir. Ava examina l'empreinte très nette de la bouche de Leo sur sa peau et hocha la tête.

— Oh, ça, c'est Leo.

— Leo ?! répéta Molly, d'un air atterré.

Elle l'ausculta de plus près. Leo avait toujours eu avec Ava un comportement tellement ambigu qu'il ne laissait aucun doute sur ce qu'il éprouvait, mais un suçon ! Molly se frotta le front et soupira :

— Il déraille complètement... Aruna, tu peux lui arranger ça ?

— Pas sûr. Elle a le teint très clair...

Aruna consulta sa palette et sélectionna des tons correcteurs. Au bout de trente minutes, la marque se voyait encore, mais le pourpre avait viré au Cuisse de Nymphe, et Ava était enfin coiffée et maquillée.

— Waouh ! s'exclama Aruna. Je suis jalouse. On dirait un mannequin...

— Ouais, soupira Molly. C'est frustrant.

Elles admiraient debout devant elles, le fruit de leurs efforts conjugués, dans sa toilette finale avec un gros bun sur le crâne, des smoky-eyes gothiques, et des bottines noires crantées.

— Dommage que Leo se pointe pas ce soir ! Il va rater quelque chose !

— Bah, il ratera rien, répondit Ava. Vu qu'il vient.

— Comment ça ?! Quand j'ai demandé hier, il m'a dit qu'ils ne seraient pas là !

— Il a décidé ça ce matin.

— Ewen vient aussi ? s'enquit Aruna.

— Je pense pas, répondit Ava. Leo veut me parler en privé.

— Ce soir ?! s'alarma Molly.

— Oui.

— Mais quel timing de merde !

— Pourquoi ? questionna Aruna.

— Tu vois la fille de ce matin ? Son salaud d'ex, c'est Leo. Je lui ai dit qu'il viendrait pas, et là, elle m'a envoyé un message pour me prévenir qu'elle arrivait...

Cinq minutes plus tard, l'interphone sonna et trente secondes après, Tessa se présenta sur le seuil de l'appartement, somptueusement parée d'une robe de mousseline blanche ajourée de dentelle, sur laquelle elle portait un blouson court en daim orné de franges qui, allié à des bottes country, donnait du caractère à la douceur d'un look hippie. Elle aurait été d'une beauté irréprochable, sans ses paupières gonflées de pleurs et de fatigue que ni anticernes ni masque au concombre n'avaient pu atténuer.

Molly se hâta de la prévenir :

— Au sujet de Leo... il sera là ce soir.

Un petit « Oh ! » s'échappa de ses lèvres. Une touche de rose ralluma son teint blafard, et ses yeux rougis s'embuèrent de larmes.

— Il a changé d'avis ? bredouilla-t-elle.

— Ce matin. Il l'a dit à Ava.

— Ava ?

Molly la désigna de la main. Cette dernière adressa à Tessa un salut lointain de quelqu'un qui aurait préféré ne pas être là. La jolie rouquine perdit le peu de couleur qu'elle avait repris en toisant cette grande vamp en collant résille.

— Ava, sa sœur, précisa Molly en observant sa mine perplexe.

— Oh, oui, sa sœur ! répéta Tessa, comme frappée par l'évidence de ce fait qu'elle avait si longtemps ignoré.

Son corps se relâcha aussitôt, et elle s'empressa d'embrasser cette parente cachée :

— Tu es magnifique ! Je suis désolée. Je ne t'avais pas reconnue.

S'ensuivit un interminable échange d'amabilités, que Tessa conclut avec une émouvante déclaration à l'attention de ses compagnes de soirée :

— Je suis contente que vous soyez là. Il faut que je parle à Leo. Je sais pas comment je vais l'affronter... Alors, j'aurai besoin de tout votre soutien...

Sa figure se crispa en une grimace hideuse. Molly voyant les prémisses d'une grande catastrophe accourut avec un mouchoir pour sauver son mascara.

— Oh, non, souffla-t-elle avec douceur, ce crétin ne vaut pas la peine que tu gâches ton maquillage...

— Mais, je l'aime ! S'il vous plaît, aidez-moi ! Je dois lui parler !

Elle s'était adressée à tout le monde, mais son regard ne suppliait qu'une personne. Une petite larme, dans un battement de cil, dévala la pente arrondie de ses joues, et tomba devant Ava avec le poids incommensurable d'un cœur brisé. Celle-ci eut un sourire forcé, ravala le non catégorique qu'elle avait envie d'éructer, et marmotta, les yeux baissés :

— OK, mais on peut rien promettre. Leo fait toujours comme ça lui plaît.

— Oh, merci ! Merci infiniment ! se répandit Tessa.

Un déluge de larmes dévasta son beau visage, balayant son fond de teint, drainant son mascara. Molly l'entoura de ses bras et lui prêta une épaule généreuse pour pleurer, puis elle l'invita à s'installer dans leur cercle privé, afin que les deux apprenties esthéticiennes arrangent son grimage de film d'horreur.