#68 Chapitre 21

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Ji ! Le risque d'être découvert à peine écarté, Ewen se mit à fouiller l'obscurité à la recherche de la jeune vagabonde. D'abord Amad, puis Ted et maintenant Kob, il n'avait plus le temps de tergiverser. Il devait la retrouver au plus vite s'il voulait terminer cette discussion qu'il avait bien trop repoussée avant qu'un autre ne se charge de lui apprendre la vérité.

Dans l'entrebâillement des tentures, la silhouette du DJ usait furieusement la feutrine caoutchoutée de ses platines au milieu du balayage de flashs colorés. Un laser en s'insinuant dans les coulisses lui transperça la vue. Il tituba, désorienté, à travers les masses nébuleuses de cartons, et reprit son exploration.

Dans le local d'entretien, pas une ombre ne remuait. Il poursuivit son chemin vers la seconde sortie de scène, avec l'espoir naïf d'apercevoir la jeune fille toujours perchée sur le petit échafaudage, où ils s'étaient embrassés. Mais le coin était aussi désert que le reste de coulisses. Où Ji' était-elle allée ?

À cet instant, un battant s'ouvrit : quelqu'un surgit du cagibi. Ewen se jeta sous l'échafaudage, derrière des pots de peinture et une bâche de protection froissée. Les yeux rose fluo d'un casque en forme de tête d'Anubis reluirent dans l'obscurité. Il vira vers la scène : Prod-DJ avait disparu. Il vira vers les coulisses : plus de visière rétroéclairée.

Ewen se statufia et bloqua sa respiration. Son regard scanna l'opacité, ses oreilles filtrèrent les sons du vacarme général, tous ses sens cherchèrent à détecter le moindre signe de danger.

Un murmure électronique affleura jusqu'à lui : Prod-DJ parlait quelque part avec sa voix vocodée, mais avec la musique et les pulsations assourdissantes de son cœur, Ewen ne comprit pas un mot de ce qu'il disait. Quelques secondes plus tard, la tête d'Anubis reparut dans l'obscurité. La porte du local d'entretien s'ouvrit puis se referma sur la phosphorescence smaragdine de son regard. Les ténèbres des coulisses redevinrent immobiles, tandis que sur scène, le show battait son plein avec un Prod-DJ à la visière fuchsia.

Pendant un instant, Ewen crut perdre la raison, voir double, halluciner, ou alors... il y avait deux Prod-DJ : un rose et un vert qui avaient échangé leur place aux platines. Il s'approcha du local d'entretien où l'Anubis aux yeux d'émeraude était entré sans en ressortir. Avec toutes les étranges allées et venues qu'il avait pu observer, Ewen avait acquis la quasi-certitude en actionnant délicatement la poignée que la pièce serait aussi vide et sombre que la dernière fois qu'il avait vérifié. On n'entendait même pas une souris trotter entre les manches à balai. Ewen alluma la lampe torche de son téléphone : une contre-inspection s'imposait.

Il souleva le tapis de sisal où il trouva sans grande surprise une trappe. Une échelle descendait à la verticale sur trois ou quatre mètres, et tout en bas : la faible clarté d'un passage.

À cet instant, un éclat de voix le fit sursauter : on approchait. Son sang ne fit qu'un tour, et là au bord de l'antre de l'ennemi, il sauta dans la seule issue qu'il lui restait, rabattit la trappe au-dessus de sa tête et dévala les échelons. Ses belles tennis blanches atterrirent dans une flaque d'eau croupie. Ewen se redressa et observa à la clarté d'une lampe baladeuse l'endroit où il se trouvait, un ancien tunnel d'égouts aux parois incurvées. Le plafond dégouttait des stalactites de ciment et de boue, tandis qu'au sol, une coulure verdâtre parfumait dans son sillon la cavité. Au-dessus de lui, une voix retentit :

— Putain, tu vois ? Le tapis est en vrac ! Et après c'est moi qu'on accuse !

— Bah, c'est parce que d'habitude, c'est toi...

La trappe s'ouvrit. Ewen s'élança dans le conduit, sans savoir où il menait. La clarté de la lampe s'estompait, le forçant à progresser à tâtons. Ses mains sondaient l'espace dans lequel il se déplaçait, prêtes à s'accrocher aux parois pour ne pas tomber, alors que ses jambes tentaient de garder la même rapidité qu'elles avaient, quand ses yeux étaient encore là pour les guider. Mais son rythme faiblissait, ses grands membres flageolaient et il soufflait à perdre haleine comme s'il courait un marathon.

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