#72

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Un tabou.

Leo ne pouvait le prononcer. Pourtant, il était là, en boule, dans son cœur, il gonflait sa poitrine, poussait pour sortir, mais ses entrailles se comprimaient pour l'empêcher de passer, et avec lui, Leo étouffait. Les larmes piquaient ses yeux, sa voix se tordait dans son gosier.

Il se prit la tête entre les mains, les coudes appuyés sur les cuisses. Tessa voyait bien qu'il était sur le point de craquer, tant il souffrait de dire ou de taire cette vérité qu'elle voulait à tout prix pouvoir nommer. Elle s'accroupit en face de lui et secoua son genou.

— Un nom, Leo, c'est tout ce que je te demande, et après, je ne te poserai plus de questions.

Il remua la tête négativement.

— Leo ! S'il te plaît !

— Non ! gémit-il. Je ne peux pas !

— Un nom !

— Non !

— Leo !

Il redressa brusquement la tête. Le désespoir révulsait ses traits. Ses yeux grands ouverts virent s'avancer la vérité, pressante, indomptable, impossible à arrêter.

— Ava !!!

Le nom jaillit de sa bouche de manière incontrôlée, comme un coup de foudre qui saisit son corps tout entier. Qu'elle était belle, époustouflante, et incroyablement dangereuse, la vérité, surtout quand elle fonçait droit sur lui, en courant sur une rambarde au-dessus du vide !

Une clameur d'épouvante s'éleva dans son sillon du premier au second. Leo se dressa sur ses jambes au moment où Ava, arrivée au bout de la ligne de métal, sauta dans le précipice. Le temps sembla se figer : ses battements dans sa poitrine s'enrayèrent, les gens s'engluèrent dans l'air spongieux, le bruit s'assourdit. Il n'y avait qu'elle qui tombait comme une étoile du ciel, lentement, interminablement, pour s'écraser, ô cruelle vérité, sur la paix illusoire de son existence.

L'impact provoqua un rejaillissement spectaculaire, bulles et gouttes dansèrent autour d'elle, l'aquosité déformée se remoula sur son corps et les vagues se refermèrent au-dessus de sa tête. Le monde entier se retrouva submergé dans une froide et morte viscosité. Leo cessa de respirer. Il se rua vers la piscine où une foule, debout et inquiète, s'amassait. La surface était redevenue placide et bleutée. En dessous, une ombre se déplaçait...

Et approchait.

Elle surgit au-dessus des flots. Sa main agrippa la margelle, où les gens à proximité se précipitèrent pour l'aider à remonter. Elle se dressa, trempée de la tête au pied, devant le bassin de lumière. Sa robe sombre collait à son épiderme d'une blancheur lunaire sous une pellicule scintillante d'humidité. De longues mèches défaites de son chignon tombaient comme des rubans d'algue devant de sa figure baissée. Elle releva son cou. Leo se pétrifia, les poils tout hérissés. C'était une sirène qui se tenait en face de lui, une magnifique et dangereuse créature sortie de l'onde phosphorescente au milieu de la nuit pour chasser. Son regard sinistre avait jeté son dévolu sur lui. Elle était prête à l'attaquer, et il ne pouvait pas bouger, complètement envoûté.

Leo se laissa renverser et tomba sur le dos. Des filets d'eau gelée inondèrent son visage et l'aveuglèrent un instant. Quand ses paupières se dessillèrent, Ava était accroupie au-dessus de lui. Un fin cercle céruléen ceignait le disque ténébreux de ses pupilles, dilatées à l'extrême, qui l'aspirait dans un puits noir, béant et sans fond de désir.

Elle enfouit la main dans son pantalon, si près de son entrejambe. Leo se dressa incontinent et empoigna sa nuque. Elle avait les lèvres écarlates gonflées comme un fruit gorgé de sang, et le vampire qu'il était ouvrit la bouche pour s'abreuver.

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant