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— Tu n'es jamais venue ici ? observa Ewen.

Ava répondit non de la tête.

— Ça peut être assez bruyant et mouvementé. 

Il faisait référence au brouhaha du salon, une façon d'excuser par avance le manque d'éducation de la bande d'animaux qui vivaient avec lui en colocation. Leo déboula dans la chambre à ce moment-là et se rua sur son sac de cours. Il alluma son ordinateur portable, sortit des feuillets, brancha une clé USB.

— Je donne des trucs à Ionel, je reviens. 

Il récupéra la clé, les pages manuscrites et repartit, aussi pressé qu'il était entré, en leur claquant la porte aux oreilles.

— Tu vois ? demanda Ewen.

— Je vois, répondit Ava avec un sourire amusé.

— Tu peux t'asseoir si tu veux. Pousse ses affaires, surtout, ne te gêne pas. 

Ava s'installa sur le matelas de son frangin, avec les couvertures défaites, en vrac et emmêlées les unes aux autres sur le côté. Son regard tomba aussitôt sur le matériel médical posé sur la table de chevet : une boîte de seringues et un garrot en latex. Elle détourna la tête pour chasser de sombres pensées et aperçut une forme rebondie, duveteuse et jaune, planquée sous l'oreiller.

C'était le minion en peluche qu'elle lui avait offert à sa sortie de l'hôpital, il y avait plus de deux ans maintenant, durant sa dernière année de secondaire : une période épouvantable de leurs vies où elle, leur père, Dada, Ewen, tout le monde avaient cru le perdre. Des réminiscences remontaient à la manière d'un cauchemar confus et incohérent, elle ne conservait pas de souvenirs précis, seulement des flashs flous et tremblants, la vive souffrance éprouvée avait rendu irréelles les heures, les jours, les nuits passées dans la salle d'attente de l'hôpital où chaque tic de l'horloge résonnait avec une régularité pareille à l'électrocardiogramme branché à la poitrine de Leo. Elle avait repris conscience en même temps que lui, quand les infirmiers l'avaient emmenée dans sa chambre et qu'elle l'avait vu en vie.

Leo rentra en soupirant un énorme désolé. Ava recacha aussitôt le minion sous l'oreiller. En même temps qu'il expliquait la situation à leur cousin, il se dirigea vers le placard et en sortit son équipement de moto. Il avait gardé pour Tessa un ancien blouson devenu trop petit pour lui. Leo le lança sur le lit.

— Vois si ça te va, dit-il à Ava pendant qu'il chaussait ses bottes.

Elle se leva, l'enfila et dégagea sa longue chevelure noire de l'encolure. Ava était très fine, mais elle était grande aussi, plus du mètre soixante-quinze, une vraie taille de mannequin. Leo avait craint toute leur adolescence qu'elle finisse par le dépasser. Ça n'était pas arrivé. Un centimètre avait sauvé sa dignité qu'une simple paire de talons aurait écrasée. Une chance, Ava n'en portait pas.

Leo s'approcha pour ajuster le serrage du blouson sur elle. Il flottait toujours un peu, mais il lui seyait mieux qu'à Tessa. Elle était même plutôt sexy en tenue de motard. Des picotements lui chatouillaient le ventre et son cœur accélérait, quand Ava flaira sur la veste une odeur parfumée. Leo se vexa :

— Quoi ? Tu ne vas pas me dire que ça pue quand même ?

— Non, ça va. J'ai senti bien pire venant de toi. 

Elle avait un don pour refroidir ses ardeurs. Ewen se gondola sur son lit, planqué derrière l'écran de son ordinateur portable. Leo grogna :

— Allez, on y va. 

Il s'apprêtait à sortir. Ewen lui lança :

— Hé, Leo !

— Quoi ?

— Essaie de ne pas te planter dans le décor cette fois ! 

Il éclata de rire. Leo lui fit un doigt d'honneur et claqua la porte.

On entendait les cancans du salon. Il se posta dans l'embrasure pour annoncer au comité qu'il partait. Pratiquement tout le monde y était réuni : Sven lisait en fumant du cannabis avachi sur un pouf ; les filles, Gwen et Isa, comméraient sur le balcon, Malik jouait à la console avec Faas et Fay, les jumeaux Van Essen, un couple de frère et sœur au style punk – les cheveux colorés à moitié rasé, percé et tatoué de la tête aux pieds – qui se ressemblaient comme des homozygotes, tandis que Ionel regardait la partie, debout en caleçon.

— Hé ! C'est Ava ! s'écria ce dernier en l'apercevant.

— Ouais, je la raccompagne. Du coup, je reste chez moi ce soir.

— Ava, c'est qui ? interrogea Faas.

— Ce ne serait pas la fille de l'histoire avec Kees ? demanda sa frangine.

— La fille de la photo ? s'étonna Ionel. Non, impossible, c'est sa sœur.

— Hein ? Leo a une sœur ? 

Fay, la jumelle des Van Essen, c'était une vraieplaie, rien ne lui échappait. Heureusement, les oreilles de la principaleconcernée étaient déjà hors d'atteinte. Leo tourna les talons.

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant