#36 On ne choisit pas sa famille (part 2)

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Sofie pointait hargneusement Ava du doigt comme si celle-ci était coupable de quelques crimes. L'accusée se redressa sur sa chaise, interloquée.

« Tu es la sœur de Leo ? demanda la rouquine.

— Euh, ouais, bafouilla Ava.

— Qu'est-ce que ce crétin a encore fait ? soupira Molly.

— Demande-lui ! répliqua Sofie en désignant la fille. Nous, on se casse ! On a plus rien à voir avec ça ! »

Ava non plus n'avait guère envie d'être impliquée dans cette histoire, et elle serait bien partie avec Sofie pour une fois, mais à la façon dont la rouquine la regardait, les yeux plein de détresse, elle sut qu'elle n'y échapperait pas. Que pouvait-elle faire pour elle ? Elle ne savait presque rien de la vie de Leo, elle ne l'avait même pas revu depuis qu'elle l'avait vaguement croisé au gymnase, il y avait dix jours de cela. La jolie rousse monta jusqu'au gradin où elle était attablée.

« Je m'appelle Tessa. Tu es la sœur de Leo ?

— Oui, sa sœur, Ava Van Bloed.

— Oh, ça fait six mois, que je sors avec ton frère... Désolée, de m'adresser à toi comme ça... Je ne savais pas qu'il avait une sœur.

— Pas ta faute, répondit Ava sur un ton blasée. Leo parle pas beaucoup de moi.

— Quoiqu'il en soit, soupira Molly, allons déjeuner. Je t'offre un café, ou un chocolat. Le chocolat, c'est bon pour les cœurs brisés. Et en plus, ils mettent plein de chantilly et de noisettes caramélisées ! »

Le petit groupe d'amis escortèrent une Tessa éplorée jusqu'à leur café habituel. La jeune fille leur parla de sa relation avec Leo, des mois idylliques qu'ils avaient passés ensemble, du petit-ami irréprochable qu'il avait été jusque-là... Il lui offrait des fleurs à chaque fois qu'elle l'invitait à dîner, l'avait emmenée en Espagne pendant les vacances d'été, et partout où elle avait envie d'aller, il prenait sa moto comme un chevalier servant et la conduisait. Comme elle avait aimé le voir toutes les fois à la sortie des cours où il l'attendait, accoté à sa bécane, paré pour une virée en amoureux ! Et maintenant, tout était terminé ! Si vite, sans qu'elle n'ait rien vu arriver, elle ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Elle l'avait trouvé à cette soirée où il avait refusé d'aller, au lit avec deux filles, les deux pétasses de première année de biologie ! Tessa éclata en sanglots. Inconsolable. Molly passa son bras dans son dos et la berça en répétant :

« C'est qu'un con ! Il te mérite pas, tu verras, t'en trouveras des bien mieux que ça ! »

Mais Tessa ne voulait pas de quelqu'un d'autre : elle était folle de lui, prête à lui pardonner la pire des trahisons si seulement... il voulait bien lui parler. Tessa renifla et leva un regard de chien battu en direction d'Ava.

« S'il te plaît, dis-lui de m'appeler. Je veux juste discuter. »

Ava ne voulait pas s'en mêler, mais elle n'eut pas le cœur de refuser : difficile de rester de marbre devant ces larmes grosses comme des billes de plomb qui la criblaient de supplications. Tessa les quitta pour retourner à la faculté des sciences humaines. Marius soupira :

« Je veux pas être méchant, mais c'est un sacré salaud, ton frangin. Je peux pas croire que cette pauvre fille soit prête à lui pardonner après ce qu'il lui a fait. Moi, je lui aurais défoncé les roubignolles directement à la soirée.

— Ah, ah ! rit Molly avec ironie. Facile à dire. J'aurais bien voulu t'y voir, avec le cœur brisé. Leo a toujours été un vrai crétin avec les filles, ce n'est pas nouveau. Je ne sais pas combien il en a fait pleurer quand nous étions au gymnasium. J'étais pas toujours fière d'être son amie d'enfance.

— Il y a de quoi, agréa Marius.

— Il a toujours eu le chic pour plaquer une meuf en sortant avec une autre, mais là, quand même, deux filles... Il a fait fort... »

Ava gardait le silence. Les ex-petites-amies de son frère venaient régulièrement la voir, soit en pleurant soit en jurant, pour qu'elle lui transmette un message, comme si elle pouvait faire quelque chose contre cette tête de cochon.

« Ava ! »

Le petit groupe se retourna en direction de l'entrée du complexe sportif devant lequel ils passaient pour rejoindre les salles de cours. C'était Frank, le copain du club de tir à l'arc d'Ava. Il était accompagné d'un de ses copains, un grand brun à la plastique tellement parfaite qu'on l'aurait dit littéralement en plastique. Molly le rangea immédiatement dans la catégorie « ultra sexy », même s'il n'était pas assez coloré à son goût. Il faut dire que sa petite chemise bien cintrée, très mode, qui s'entrebâillait sur ses pectoraux musclés avait l'art et la manière de laisser voir juste ce qu'il fallait pour mettre en appétit. Il les salua discrètement pendant que Frank demandait à Ava :

« Tu viens, samedi, chez maître Antonides ?

— Pour ?

— T'es pas au courant ? Il donne un cours particulier. La prof a envoyé hier un mail à tout le monde pour nous prévenir que le cours de samedi était annulé et nous proposer d'aller en sortie à Doorn, chez le maître.

— Non, je savais pas.

— Tiens ! Tout le monde l'a reçu, pourtant. Il y a un bus qui part de l'université pour ceux qui ont pas de transport pour y aller... »

Molly observait le beau brun, lequel observait Ava avec un air tout particulièrement troublé, sans qu'elle ne puisse déterminer exactement s'il était intéressé. Le groupe se sépara après que les deux archers eurent fini de discuter. Chacun partait de son côté, quand le beau brun se retourna pour les rappeler.

« Excuse-moi, dit-il à Ava, je suis à peu près sûr de t'avoir déjà vu quelque part, mais j'ai beau cherché, j'arrive pas à me remémorer.

— Bah, répondit Frank, c'est la sœur de Leo. Je t'avais dit que je faisais du tir à l'arc avec elle.

— La sœur de Leo ? »

Il la dévisagea, les yeux écarquillés comme s'il la voyait pour la première fois.

« Rappelle-moi ton prénom, s'il te plaît.

— Ava.

— Ava ?

— Ava. »

Il eut un petit moment où il resta figé, bouche bée, les sourcils haussés, puis, brusquement, il se tordit de rire. Un rire grinçant, violent, outrancier qui tenait de l'éructation jubilatoire de quelque diable machiavélique.

« J'y crois pas ! s'exclama-t-il. Je savais que ce type était un putain de fils de pute, mais alors là ! Si je m'attendais à ça ! Eh bien, Ava, c'est un plaisir de te rencontrer, déclara-t-il en essuyant une larme. Je m'appelle Kees, Kees Köning. J'espère vraiment que nous aurons l'occasion de discuter. Je donne une petite fête samedi prochain. Si tu voulais venir, j'en serais enchanté.

— Eh ben, samedi soir, c'est p... »

Mais elle n'eut pas le temps d'achever, Molly lui donna un coup de hanche qui l'empêcha de parler et s'empressa de terminer la phrase d'une façon qui lui plaisait :

« Parfait ! Dis-nous juste l'adresse et on viendra ! »

Clan VOù les histoires vivent. Découvrez maintenant