1. Emma

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Mon téléphone vibra dans la poche arrière de mon jean. J'observai rapidement l'écran fissuré : c'était un message de Thaïs. Je l'éteignis et le rangeai. Ça pouvait attendre. 

Je reportai mon attention sur mon professeur de mathématiques. Mr Hertis essayait désespérément de rendre son cours intéressant, sans véritable succès. Finalement, je tournai la tête vers la fenêtre en jouant avec un bout de gomme. Dehors tout était calme, quelques personnes s'attardaient dans la rue, mais ne restaient jamais bien longtemps. C'était comme ça à Chattam, les gens ne s'attardaient jamais beaucoup. Je pris en note le cours, l'esprit ailleurs. Je repoussai doucement mes cheveux derrière mon épaule.

Posons les bases :

Aucun garçon ne me regardait jamais, et je ne regardais jamais aucun garçon. J'étais ce genre de fille. En même temps, il fallait bien préciser qu'ici personne ne m'aimait et que je leur rendait bien. Personne ne m'aimait, dans le meilleur des cas, les gens s'en foutaient de moi, dans le pire, ils me haïssaient.

La cloche sonna, annonçant la fin de cette semaine de cours. Mon professeur prit la parole alors que nous rangions nos affaires.

- J'aimerai avoir votre attention encore quelques minutes s'il vous plait !

Comme un seul Homme, nous levâmes tous la tête pour l'écouter parler.

- J'ai une annonce à vous faire. La semaine prochaine, un nouvel élève intégrera votre classe. Je compte sur vous pour l'accueillir comme il se doit lundi prochain. Merci et bon week-end.

Le professeur fini sa déclaration et nous sortîmes de cette salle de cours étouffante. Les conversations allaient bon train, tout le monde avait hâte de rencontrer ce nouvel élève. Tout le monde, sauf moi. Je sortis du lycée et me dirigeai vers mon bus. J'allais appeler Thaïs quand mon téléphone se remit à vibrer.

- Allo ?

- Emma ?

- C'est moi que tu as appelé, qui veux tu que ce soit ? me moquai-je.

- Comment ça va ?

Je souris, Thaïs avait la mauvaise habitude de toujours s'inquiéter pour rien.

- Ca va très bien. Arrêtes de t'inquiéter.

- Ah, ça, tu sais très bien que je n'y peux rien, souffla-t-elle.

- Je sais, je sais. Tu avais quelque chose à me dire ?

- Tu me manquais c'est tout, répondit-elle.

- Tu pourrais quand même éviter de m'appeler en plein cours, la grondai-je.

- Désolé.

Je pouvais presque percevoir son sourire à travers mon écran.

- Eh, j'ai autre chose à te dire, lançai-je.

- Je t'écoute.

- Il y aura un nouveau dans ma classe lundi, dis-je avec dégoût.

Je fis la moue en m'installant sur mon siège, et j'étais sûre qu'elle l'avait deviné car elle éclata de rire.

- Rappelle-moi Emma, pourquoi n'aimes-tu personne ?

- Parce que les gens sont hypocrites et que je ne peux faire confiance à personne, sauf à toi, grommelais-je.

- Emma, laisses lui au moins une chance. Tu sais, tout le monde n'est pas comme Rashel ou Manon.

- Oui, je sais, mais ça n'empêche pas que chaque nouvel élève que je rencontre me pose toujours les mêmes questions, pour finalement me juger et me ranger dans une de leurs cases. En l'occurrence, la fille bizarre, dangereuse et psychopathe du lycée.

- A ton avis pourquoi les gens pensent ça de toi ?

- Parce qu'ils sont terriblement influençables ! m'exaspérai-je. Il leur suffit d'entendre une ou deux conneries sur moi et pouf ! Ils me détestent tous. Manon les fait tous fuir, il suffit qu'un seul mot sorte de sa bouche et tout le monde me fuit comme la peste !

Je m'arrêtai quelques secondes, poussai un profond soupir et repris.

- Et parce-que je suis différente d'eux, que je reste silencieuse, que je ne parle plus à personne, que je n'ai pas d'amis ici, ni de petit copain. Et parce-que, de toute manière, les gens tirent toujours des conclusions hâtives, sans même prendre le temps de véritablement connaître la personne qu'ils sont en train de juger.

Thaïs garda le silence, méditant sur mes paroles. Je repris, la voix un peu enrouée.

- Je ne pourrais jamais donner d'explications à leurs questions. Les gens sont bien trop curieux, et ils se mêlent de tout, simplement pour avoir quelque chose à raconter à leurs copains pendant leurs soirées débiles. Et puis, à chaque fois que quelqu'un aborde ce sujet, je ne peux pas m'empêcher de partir les larmes aux yeux. C'est beaucoup plus simple de laisser les gens penser ce qu'ils veulent que d'assumer la vérité, c'est tellement plus simple de se cacher derrière un masque. D'être quelqu'un d'autre que soi-même.

J'avais prononcé la dernière phrase presque en murmurant, mais je savais qu'elle avait compris.

- Tu verras bien, si ça se trouve tu t'entendras bien avec lui...

- Ca, ça m'étonnerait.

- Bon, je dois te laisser, je voulais juste m'assurer que tu allais bien. Bisous.

- Merci. Bisous.

C'était une conversation pour le moins étrange.

« Tout le monde n'est pas comme Rashel ou Manon ».

Rashel...

Ce prénom tourbillonnait dans mon esprit au rythme de la musique qui m'emplissait les oreilles, réveillant sur son passage, tous les souvenirs, du plus agréable, au plus douloureux. Je n'en revenais pas d'avoir réussie à presque l'oublier.

Ce nom, ce visage qui hantait mes nuits et était la cause de mes pires cauchemars. Ce sourire qui provoquait toutes mes insomnies ainsi que mes hallucinations. J'avais presque réussi à l'oublier.

Presque.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant