Les Fantômes de Nos Passés

81.Emma

J'étais enfin dehors. Et bordel qu'est-ce que ça faisait du bien ! Il m'avait fallu pas plus de deux heures seules dans ma chambre d'hôpital pour commencer à vriller. Je ne supportais plus tout ce blanc et encore moins l'odeur de désinfectant caractéristique de ce genre d'endroits. Cela dit, ça avait été une sacrée angoisse pour sortir de ce foutu bâtiment.

J'avais à peine posé un pied dehors que tous les journalistes du coin m'avaient sauté dessus. Chattam était une petite ville ou il ne se passait jamais grand-chose, alors vous vous doutez bien que dès que le moindre incident survenait, tout le monde accourait. La rumeur s'était répandue comme une trainée de poudre et j'avais eu droit à un joli accueil à la sortie de l'hôpital.

L'affaire de la famille Simmon resterait gravée dans l'histoire de Chattam.

Désormais tout le monde savait. Tout le monde savait que je n'étais qu'une petite fille fragile qui se faisait battre par son père. Et pire encore, tout le monde savait que j'avais provoqué la mort de mon frère. Et prendre conscience que tout le monde savait, m'avait déclenché une belle crise de panique.

Alors que j'étais entourée de tout un paquet de journalistes indiscrets, Jordan avait joués des coudes pour me frayer un passage jusqu'à la voiture, Thaïs avait éloignés ceux qui s'approchaient un peu trop près de moi et qui empiétaient sur mon espace vital tout en les insultant copieusement et Sam m'avait serré contre lui, cachant mon visage des caméras et passant inlassablement sa main dans mes cheveux pour tenter de calmer mon souffle paniqué.

Puis on s'était retrouvé dans la voiture et on avait pris la fuite aussi vite que possible.

J'étais sortie hier soir, et j'y étais retournée ce matin, le visage enfouit sous ma capuche.

Maman.

Je ne pouvais pas décemment la laisser tomber. Elle allait mal, elle mettrait longtemps à s'en remettre, mais elle guérirait. Oui, il ne pouvait en être autrement : elle guérirait, se relèverait, et ensemble, nous reconstruirons notre vie. Ensemble, nous vivrons pour de vrai.

Les médecins étaient assez positifs sur son cas. Mais le risque zéro n'existait pas, j'étais bien placée pour le savoir. À tout moment, son corps pouvait lâcher, à tout moment, sa vie pouvait s'enfuir.

Je m'efforçai de ne pas y penser pendant que je nettoyais la cuisine. J'avais laissé le salon et les monticules de bouteilles vides à Thaïs. Rien que le fait de revenir dans cet endroit me faisait frissonner, alors il était hors de question que je m'occupe de ça.

Je haïssais cette maison du plus profond de mon âme, pourtant c'était moi qui avais insisté pour y revenir et pour la remettre en état.

Parce que je ne pouvais me résoudre à laisser mon géniteur gagner. Pendant dix-huit ans j'avais souffert par sa faute. Pendant dix-huit ans j'avais eu peur. Seulement la peur m'avait rendue courageuse, et maintenant que j'avais gagné la bataille, il me restait à remporter la guerre.

Je ne laisserais pas mes démons me dicter ma conduite. Cette maison était la mienne, et peu importait qu'elle soit remplie de mauvais souvenir. Peu importait que mon sang et celui de ma mère maculent le sol et les murs. Peu importait que le canapé soit imprégné de vodka et le tapis de whisky. Peu importait que la maison sente l'alcool et la mort, la douleur et la peur. Je m'en foutais. C'était ma maison, et je ne laisserais pas mon monstre de père m'enlever ma maison.

Jordan lui, était parti faire des courses. Et vu la longueur de la liste, il ne reviendrait pas avant au moins deux heures.

J'avais vu hier, une tout autre personne quand il était entré dans la pièce. Ses yeux avaient perdu cette étincelle qui me faisait fondre autre fois. Elle avait été remplacée par une lueur aussi sombre qu'une nuit d'hiver. Son visage, lui aussi, était sombre. Comme si les ombres de la peur étaient en train de l'envahir.