73.Samuel

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J'arrivai devant chez Emma en même temps que les voitures de police. Police que je n'avais pas appelée d'ailleurs. J'avais foncé sans réfléchir et j'avais pédalé comme un dingue à m'en déchirer les mollets, un comportement complètement stupide.

Je me maudis de l'intérieur, descendis de mon vélo et m'élançai à la suite des policiers.

Les voisins observaient la scène depuis le pas de leurs portes, les yeux écarquillés. Je m'arrêtai, quelques mètres derrière les deux officiers de police. La jeune femme toqua trois fois en criant d'ouvrir la porte, sans que personne ne réponde. Le panneau de bois bleu vola sous le coup de pied de son collègue. Ils pénétrèrent dans la maison sans se soucier de ma présence derrière eux.

Un cri retentit, me perça les tympans, me perfora le cœur. Cette voix était celle d'Emma.

Je dépassai les flics en courant vers la source du cri. La jeune femme me rattrapa par le bras et me tapa sur la tête.

- Retourne devant la maison, petit. C'est dangereux là-dedans, souffla-t-elle.

- C'est hors de question. Cette fille qui se fait martyriser c'est mon amie ! protestai-je.

- Et comme tu l'as dit, elle se fait martyriser alors casse-toi !

- Non !

- Lola laisse-le, on n'a pas le temps, intervint son collègue.

La femme grogna et me poussa derrière elle mais elle ne protesta plus.

Je me fis le plus petit possible et suivis les policiers à travers le couloir. Plus on approchait de la porte du fond, plus on entendait de cris étouffés, plus mon cœur battait vite. Et ces foutus flics allaient trop lentement !

La femme accéléra le pas, comme si elle avait lu dans mes pensées et sur un signe de tête de son collègue, elle déboula devant la porte brisée et pointa son flingue devant elle en criant.

- Police on ne bouge plus !

Je me précipitai derrière elle. La vision qui s'imposa à mes yeux me fit chanceler. Un grand homme au visage à moitié mangé par une barbe hirsute et aux yeux rougis par je ne savais quelle substance étrange tenait d'une seule main une Emma couverte de sang qui se débattait même pas. Sa gigantesque main maintenait la jeune fille par le cou, l'empêchant presque de respirer.

L'air se bloqua dans mes poumons.

- Lâchez cette jeune fille ! ordonna Lola.

L'homme grogna, jeta un regard dédaigneux à la policière mais ne bougea pas, resserra même sa prise sur le cou de la petite blonde.

- Je vous ai dit de la lâcher ! répéta-t-elle en haussant le ton.

Le géant grogna de nouveau, un grognement sauvage qui n'avait plus rien d'humain. D'un geste sec, il balança comme un sac vide le corps d'Emma contre le pied en métal du lit.

Je sursautai quand son corps le heurta violemment. La jeune fille étouffa un cri et je voulus me précipiter vers elle mais un bras me stoppa dans mon élan.

- Ne fais pas de la merde petit, ce type est fou, tu veux finir comme ton amie ? me dissuada le collègue de Lola.

Je déglutis difficilement et réfrénai mon envie de me jeter au secours de la petite blonde. Mon cœur battait plus vite qu'il ne l'avait jamais fait, mon souffle était court, j'avais peur, horriblement peur.

- Mais faites quelque chose bon sang ! criai-je.

- La ferme, gamin ! grogna la femme.

La femme se rapprocha à pas lents de l'homme qui frappait Emma quelques secondes plus tôt, son collègue sur les talons. Ils se placèrent chacun d'un côté du monstre.

- Laissez-vous faire et on ne vous fera aucun mal, lâcha le policier dont je ne connaissais pas le nom.

L'homme resta silencieux, observant ces gens qui l'entouraient d'un regard vide. Le policier prit son silence pour un accord et s'avança lentement en cherchant des menottes dans sa poche. Il ne vit rien venir.

Lorsqu'il ne fut plus qu'à un mètre de l'homme, ce dernier lui assena un violent coup de poing dans le visage. Le flic recula de plusieurs mètres, tituba, se redressa.

- Si vous bougez encore ne serait-ce qu'un orteil je tire, menaça Lola en chargeant son arme.

Je regardais la scène, totalement impuissant, les yeux écarquillés. Mes souvenirs me revenaient par flash, les policiers sur la scène de crime de la résidence des Lilas où habitait mon meilleur ami, et la façon dont cette histoire s'était finie.

- Raf, ça va ? s'enquit-elle.

Il hocha la tête.

Raf se rapprocha avec précautions, fit un signe de tête à sa collègue. L'homme se rua sur lui. Le policier fut plus rapide. Il évita d'un mouvement souple l'ivrogne qui se jetait sur lui et lui assena un violent coup du tranchant de la main sur la nuque. L'homme s'écroula au sol. L'action n'avait duré qu'une poignée de secondes.

Je mis quelques instants à me remettre de mes émotions avant de me précipiter dans la pièce.

- Emma !

La jeune fille était allongée au sol, au bord de l'inconscience, les larmes ravageant son visage.

- Emma parle, j'ai besoin d'être sûr que tu vas à peu près bien, la suppliai-je.

- Salut, abruti, souffla-t-elle en souriant faiblement.

- Oh mon dieu je n'ai jamais été aussi content que tu m'insultes ! m'écriai-je en la serrant dans mes bras.

Un gémissement me fit relâcher immédiatement la pression.

- Oh, désolé.

- Eh gamin ! L'ambulance est arrivée, sors ta copine on y va, m'apostropha Lola.

- Oui Cheffe !

Je passai un bras sous les jambes de la petite blonde et un autre dans son dos avec un maximum de précautions.

- Ma...

- Quoi ?

- Maman, souffla-t-elle.

Je parcourus la pièce des yeux, mon regard tomba sur le plus horrible des spectacles que j'ai jamais vu - après le cadavre de mon meilleur ami.

- Euh, je, euh...bafouillai-je.

- Quoi ? s'agaça la policière.

Je montrai le corps de la tête, incapable de prononcer un seul mot. Celui dans mes bras s'affaissa.

- Emma ? Emma ? Elle a perdu connaissance ! criai-je.

- Emmène-la à l'ambulance gamin, je m'occupe de la dame, ordonna-t-elle.

- Je suis pas un gamin ! criai-je en quittant la pièce.

Le corps de l'homme qui gisait toujours paralysé au sol, les mains menottées derrière le dos, la mère d'Emma qui était inconsciente en sang et sans doute entre la vie et la mort et le corps salement amoché de la jeune fille évanouie dans mes bras me donnait envie de vomir.

En passant à toute vitesse dans le salon je remarquai le nombre incalculable de bouteilles vides au pied du canapé et les pièces du puzzle se mirent en place dans ma tête.

Le bleu sur la joue d'Emma quand elle s'était enfuie de chez elle et que je l'avais retrouvée dans la partie sombre, voilà d'où il venait. Ce poignet cassé et cette tentative de suicide, je comprenais tout maintenant.

Bon sang, comment avais-je pu ne rien deviner ?

Un violent haut-le cœur me fit reprendre mes esprits et je sortis précipitamment de la maison.

Cette baraque sentait l'alcool, et la mort. 

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant