58.Samuel

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Je ne savais pas qui était ce Lucas, mais entendre Emma parler aussi tendrement de ce garçon, me serrait le cœur plus que je n'aurais voulu l'admettre.

En la serrant dans mes bras après son récit, je ne pus m'empêcher de me sentir fier, c'était ridicule, mais ce simple geste, était à mes yeux une petite victoire contre cet inconnu qu'Emma aimait tant. Je m'en voulais d'être jaloux à ce point d'un fantôme. Mais ce fantôme était celui qui hantait Emma depuis longtemps, et je voulais devenir aussi précieux à ses yeux que ce garçon l'était, même au-delà des frontières entre la vie et la mort.

Plus que de vouloir ressembler à ce fantôme, je voulais être celui qui n'en deviendrait jamais un pour elle.

Je voulais être celui que jamais elle n'aurait à oublier.

Je la relâchai et la contemplai un instant. Elle était vraiment belle avec ses beaux yeux bleus-verts et ses cheveux blonds comme les blés. Ce qui était dommage, c'était que presque à chaque fois que je la voyais, ses yeux étaient mouillés, et son visage ravagé par les larmes.

Je les séchai du bout des doigts et me relevai en lui tendant la main.

- Viens, il est tard, je te ramène.

Emma hocha la tête, attrapa ma main et se releva.

Je la guidai à travers les ruelles sombres, sa main toujours logée dans la mienne. Seule la lune éclairait la route. Ici, pas de lampadaires, pourquoi mettre de la lumière là où la plupart des gens ne pouvaient même pas se payer l'électricité ?

Les rues étaient vides. Ce soir, pas de gars ivre mort, pas de voleurs de bas étages, pas de petits voyous avec leurs couteaux. La partie sombre était calme. Comme pour respecter l'état branlant des sentiments d'Emma.

Lorsque la lumière des lampadaires se fit et que nous entrâmes dans le bourg lumineux de Chattam, je voulu lâcher la main de la blonde. Elle la rattrapa et la serra plus fort, comme pour me demander de la garder au chaud contre ma propre paume.

Mes joues prirent feu mais j'obéis, je gardai sa main dans la mienne.

Et dire qu'on s'était rencontré il y avait à peine un mois et qu'on se retrouvait à sécher les larmes de l'un et de l'autre. Elle m'en avait fait vivre des aventures en un seul mois. J'avais hâte de découvrir tous les rebondissements que cette fille me réservait. En espérant qu'ils soient joyeux.

J'en avais marre des larmes, de la tristesse, de la colère, des remords, de la douleur. J'en avais marre du noir, du gris, du bleu et du rouge.

Je voulais du jaune, de l'orange. Je voulais du bonheur, des rires, des sourires. Je voulais des jours heureux et beaux comme un ciel d'été.

Cependant j'avais beau parler, peu importait ce qu'il se passerait, si je pouvais rester à ses côtés, j'accepterais tout sans rechigner.

J'avais découvert en m'intéressant à cette fille, un trésor que jamais je ne pensais trouver. J'étais en manque de vie, en manque d'aventures. Ma vie était morne, triste, vide. Emma avait comblé chaque centimètre carré de cette morosité qui habitait mon cœur. Elle avait chassé la pluie dans laquelle je menaçais de me noyer.

Alors même si mes problèmes n'étaient pas réglés, même si j'avais encore mal, même si mon frère me manquerait terriblement, je ne voulais pas la perdre elle. Je voulais rester à ses côtés.

Elle m'aidait à me sentir vivant, et c'était tout ce dont j'avais besoin.

Je m'arrêtai à l'entrée de sa rue et lui jetai un regard interrogateur. Elle secoua la tête et lâcha ma main. Elle disparut dans le noir avec un petit signe d'aurevoir.

Je restai là pendant quelques minutes, à fixer l'endroit où elle avait disparue, avant de faire demi-tour.

Cette fille était incroyable. Vraiment incroyable.

J'étais loin de savoir tout ce qu'elle avait vécu, pourtant à chaque chose qu'elle me révélait, j'avais l'impression de gagner une chasse au trésor.

Son histoire me semblait terriblement similaire à la mienne. La perte d'un être cher, et tout son être qui part à la dérive. La vie était une traitresse. Un jour il faisait beau et l'autre il pleuvait, un jour tout allait bien et le lendemain le bateau coulait.

Un bateau en pleine tempête : voilà ce qu'était ma vie. Mes parents étaient la tempête, la mort de martin était la pluie, le cancer d'Isaac était les éclairs. Mon bateau avait coulé, je m'étais fabriqué un radeau. Depuis, j'essayais tant bien que mal de traverser cette maudite tempête.

Des métaphores comme celle-ci, je pourrais en faire des milliers, rien ne changerait.

Emma avait perdu Lucas, et j'avais perdu Martin. Même situation, différentes circonstances. Un accident et un meurtre. La conséquence nous avait mis sur le chemin l'un de l'autre. Je n'avais pas rencontré cette fille pour rien, j'en étais intimement persuadé.

Et plus je la voyais, plus je la trouvais extraordinaire.

Plus je la voyais, plus mes sentiments devenaient confus. Je n'avais jamais connu l'amour, je ne savais pas ce que ça faisait d'aimer quelqu'un. Bien sûr j'avais fait semblant, bien sûr j'en avais connu plein des filles, mais jamais, pas une seule fois je n'avais ressenti de véritables sentiments.

Ceux que les livres décrivent comme étant si puissants, qu'ils vous font tomber à la renverse. Ceux qui, parait-il, font battre votre cœur à mille battements par secondes et font naitre des papillons dans votre ventre.

Ceux-là, je ne les avais jamais connus.

Pourtant mon instinct me criait, que j'étais en train de tomber amoureux.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant