40.Thaïs

6 0 0
                                    

Mon frère déboula dans la pièce au moment où Emma s'effondrait dans mes bras. Il était rouge sang et même si je ne l'avais pas connu, j'aurai su qu'il était en colère. Mon esprit fit le lien sans une seule seconde de latence. Et le fait que je sache que Jordan ne s'énervait littéralement jamais me le confirma. Il avait tout entendu.

J'eus à peine le temps d'écarquiller les yeux avant que mon frère n'explose.

- Je vais le tuer, cracha-t-il.

Emma sursauta. Le ton de Jordan était tranchant, froid, plein de venin, et terriblement sérieux.

Il bouillonnait d'une colère froide et à peine contrôlée. Une colère dangereuse.

- Je vais le tuer. Comment a-t-il osé ne serait-ce que lever la main sur Emma ! Et sur sa mère ! Et sur...

- Jordan !

Emma avait haussé le ton sans pour autant crier. Elle se libéra de mon étreinte et se tourna vers mon frère. Ses larmes ne coulaient plus. Elle n'était pas en colère, quelque chose me disait qu'elle était même soulagée que Jordan réagisse ainsi.

Mon frère se détourna et frappa de toutes ses forces dans le mur beige de la cuisine. Y laissant un trou de la taille de son poing. Quand diable avait-il acquis cette force ?!

Jordan était un véritable volcan. Il arpentait la cuisine de long en large comme un lion dans sa cage. Ses poings s'ouvraient et se fermaient frénétiquement. Il explosa une seconde fois.

- J'ai tout entendu Emma ! Ne crois pas que je vais rester sans rien faire alors que cet enfoiré vit toujours !

La petite blonde ne répondit pas. Elle le fixait dans les yeux, malgré la large différence de taille entre eux, Emma semblait être celle qui dominait la situation.

- Aaaargh ! Je ne peux pas, je ne peux pas ! Tu m'en demandes trop Emma, comment pourrais-je ne pas réagir !?

- Je ne te demande pas de rester calme. Ta colère est tout à fait légitime et, honnêtement, elle me fait presque plaisir. Je ne te demande pas de ne rien faire. Je te demande de l'aide. Je te la demande à toi et à ta sœur, à tes parents aussi tant qu'à faire. Je voudrais juste que vous m'aidiez.

Je ne voyais pas son visage, mais j'aurai pu jurer qu'elle pleurait parce que mon frère s'était calmé et la fixait avec un regard étrange. Comme s'il était gêné de voire des larmes sur ses joues.

Jordan hocha la tête, et ma meilleure amie se jeta dans ses bras. Elle pleurait pour de bon, c'était certain. Elle pleurait certainement autant que moi, et même si mon frère s'efforçait de ne rien montrer d'autre que sa colère, je voyais à sa façon de la serrer fort dans ses bras, qu'il retenait ses larmes.

J'entrepris de faire des chocolats chauds. Rien de tel que des chocolats chauds pour réchauffer les cœurs et sécher les larmes. C'était la boisson fétiche de mon père, il m'avait transmis son amour du chocolat.

Ce fut plus long que d'habitude, mes larmes brouillaient ma vue, mes gestes étaient lents, mal assurés. Quand je posai enfin les boissons sur la table, Emma n'avait pas quitté les bras de mon frère, mais ses sanglots s'étaient tus. Je m'approchai doucement d'eux, et me plaçant derrière ma meilleure amie, j'enserrai sa taille en même temps que celle de mon frère.

Nous restâmes ainsi deux bonnes minutes avant que Jordan ne prenne la parole.

- Les chocolats vont refroidir mes beautés, chuchota-t-il.

Je les lâchai et parti m'assoir à la table. J'observai les deux personnes qui m'étaient le plus chères prendre place à leur tour puis le silence reprit sa place.

Aucun de nous ne savait quoi dire. Comment meubler un silence aussi grave ?

J'entendis la porte s'ouvrir, puis se refermer, le bruit des pas de ma mère traversant l'entrée suivit de ceux de mon père, puis sa voix grave s'éleva dans le silence de la cuisine.

- Que faites-vous ici tous les trois ? Dans...le silence.

Aucun de nous ne lui répondit. Jordan leva la tête et lui sourit tristement.

Mes parents comprirent instantanément et s'installèrent lentement à la table en face de Jordan et Emma. J'étais assise au bout, une main posée sur la cuisse de ma meilleure amie, mon frère lui serrait la main sous la table de l'autre côté.

- Les enfants, parlez-nous, dit doucement ma mère.

Un ange passa. Emma prit la parole.

- Elena, Ryan, je suis désolée de ce que vous allez entendre.

Mon père prit un air grave, ma mère fronça les sourcils.

Ils se turent pendant tout le long monologue d'Emma, et quand elle eut fini, ils parlèrent en même temps.

- On va t'aider.

Leurs mots sonnèrent comme dit par un seul Homme, ce qui m'arracha un faible sourire.

- Je te promets qu'on mettra ce monstre derrière les barreaux.

Ma meilleure amie tressaillit au huitième mot, resserra sa main autour de la mienne.

Mes parents se levèrent chacun leur tour. Mon père sortit sans un mot, la mâchoire contractée à l'extrême. Ma mère enserra tendrement les épaules d'Emma et lui chuchota quelque chose à l'oreille avant de sortir à son tour. Aucun des deux ne s'était formalisé du trou qui s'ouvrait dans le mur de la cuisine.

Nous restâmes là, assis devant nos tasses vides, l'esprit trop chamboulé pour réussir à bouger.

Ce fut Jordi qui reprit ses esprits en premier.

- Bon, je suggère, une petite balade en ville, histoire de se changer les idées avec le bon air bien pollué de Mittles. Rien de tel qu'une bonne dose de CO2 dans les poumons pour se sentir mieux ! lança-t-il sans joie.

Sur ce, il se leva et monta dans sa chambre chercher un manteau.

Mes yeux croisèrent ceux de ma meilleure amie et nous décidâmes d'un commun accord, de suivre sa proposition.

Trois minutes plus tard, nous étions dehors, tous les trois, main dans la main. Comme quand nous étions enfants.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant