8.Thaïs

14 0 0
                                    

J'aimerais l'aider, mais que pouvais-je faire pour elle ?

Lorsqu'Emma avait perdu tout contrôle sur sa crise, j'avais entendu quelqu'un entrer, puis une voix lui parler, mais c'était remplit de grésillements, je n'avais rien compris. Jusqu'à ce qu'un visage apparaisse sur mon écran.

J'avais tout de suite compris qui était ce garçon. « Le nouveau » comme dirait Emma. On avait parlé un peu, j'avais compris que c'était à cause de ce qu'il avait dit que la crise de ma meilleure amie s'était déclarée - même si Emma me l'avait déjà dit. Il s'en voulait tellement que je m'étais sentie obligée de lui donner le numéro de téléphone d'Emma pour qu'il puisse s'excuser.

Je savais que de vraies excuses en face à face seraient dix fois mieux, mais je savais aussi qu'Emma ferait tout ce qu'elle pouvait pour l'éviter ou l'éloigner désormais. Alors je m'étais dis que c'était mieux que rien. Ensuite il avait raccroché, avait dit qu'il fallait qu'il essaie de calmer Emma. Je l'avais laissé faire, de toute façon, je ne pouvais pas le faire à sa place, même si ça aurait sûrement été mieux...

Ses crises de paniques me préoccupaient de plus en plus. Il fallait dire que ça faisait longtemps qu'elle en faisait, et que, des crises aussi fortes, ça faisait au moins trois ans qu'elle n'en avait pas eues.

Il y avait cinq ans, elle ne savait pas les contrer, et la douleur était si forte, qu'elle la faisait hurler. Elle racontait, qu'elle avait aussi mal que si on lui faisait des trous dans la tête, et que l'on y insérait des aiguilles très pointues. Je vous laisse imaginer l'horreur.

Lors de ses crises, la douleur la faisait hurler, mais la panique était bien pire. Souvent, sa respiration était si rapide et peu régulière, qu'elle s'évanouissait. Mais dans l'autre cas, personne ne pouvait l'approcher, elle chassait la moindre main tendue, comme un chiot apeuré. Alors elle pouvait passer des heures dans un coin de la pièce à pleurer.

Elle pleurait tellement que les larmes l'étouffaient. Elle haletait tant, que sa respiration l'empêchait de hurler. Et quand quelqu'un arrivait à l'approcher, on la shootait aux médicaments pour apaiser sa douleur. Une douleur que pourtant même les médicaments les plus forts ne pouvaient apaiser. Car on ne soignait pas les remords avec ce genre de traitement, on n'accélérait pas un deuil comme cela, on ne faisait pas disparaitre la culpabilité à coup de morphine.

Emma avait passé de longs mois à l'hôpital, pour essayer de « soigner » ses crises de panique, mais cela n'avait servi à rien. Elle était, et elle était toujours, aussi renfermée qu'une huître. Bornée, elle ne voulait rien entendre des médecins, elle passait les examens de force, les repas étaient source de conflit et l'empêcher de sortir de l'hôpital, s'était avéré être plutôt compliquer. Les médecins n'en pouvaient tellement plus de son comportement peu docile, qu'ils avaient finis par proposer à sa mère de la placer dans un hôpital psychiatrique.

Cette dernière avait refusée, sa fille n'était pas folle, c'était ce qu'elle n'avait eu de cesse de répéter. Les médecins avaient eu beau lui expliquer qu'un hôpital psychiatrique n'était pas que pour les gens « fous », Joyce n'avait rien voulu entendre. Elle avait catégoriquement refusé. Cependant, Joyce avait raison, Emma n'était pas folle. Elle était loin de ce stade, même si ses crises ressemblaient effectivement à de la folie. Traumatisée était le mot qui convenait le mieux à son état.

Mais est-ce que quelque part, le traumatisme ne pouvait pas finir par rendre fou ? Je n'en savais rien, mais j'avais peur.

Finalement, au fur et à mesure, ses crises s'étaient espacées, elles ne perdaient pas leur violence, mais elles se faisaient de plus en plus rares, et au fil du temps, Emma avait réussi à s'en débarrasser presque entièrement.

Presque.

Certains mots, certaines phrases ou certains gestes, faisait ressurgir en elle les souvenirs violents de cette nuit d'horreur, et dans ces moments là, Emma perdait totalement le contrôle sur ses réactions, s'abandonnant à la douleur de ses souvenirs. Car même si les crises se faisaient maintenant rares et un peu moins virulentes, la douleur elle, était restée intacte, exceptionnellement bien conservée, dangereuse et destructrice.

La crise qu'elle venait de faire, était de la force de celles qu'elle faisait au tout début. Au moment où le traumatisme était encore très présent, imprégné dans son cerveau comme un véritable tatouage. Tellement gros qu'il hantait ses nuits et ses jours, la transformant peu à peu en être torturée par l'horreur de son passé.

C'était comme cela, certains souvenirs étaient plus vivants que d'autres, comme gravés en nous, comme si les émotions et les sensations étaient encore présentes. Emma revivait son cauchemar à chaque crise.

De telles crises de panique, cela faisait au moins trois ans qu'Emma n'en avait pas eu, et le fait qu'elle en fasse une maintenant, m'avait d'abord étonnée, jusqu'à ce que je me rende compte, que ce n'était finalement pas si étrange.

Les pièces du puzzle s'emboitaient les unes après les autres dans ma tête, constituant un tableau triste, dénué de couleurs. Au début, quand Emma m'avait dit que la crise avait été déclenchée par Noah, je m'étais dit que cela devait aussi venir d'autre chose. En partie de Noah, mais un peu d'un autre élément. Elément qu'il me manquait.

Puis j'avais compris, ou plutôt, j'avais trouvé : la salle de repos. Emma m'en avait fait la description le jour de sa rentrée au lycée, c'était un lieu qu'elle adorait, en particulier pour son calme et ses multitudes de livres de tous les genres. C'était un vieux bâtiment délaissé au fond de la cour. Il avait été abandonné par les étudiants lorsqu'une nouvelle salle d'étude avait été construite à l'extérieur, plus moderne et plus confortable.

Ma meilleure amie s'y rendait souvent quand elle se sentait mal ou que la foule l'oppressait. C'était le seul lieu qu'elle appréciait dans l'enceinte de son établissement et elle y passait pratiquement tout son temps lorsqu'elle ne décidait pas de quitter l'école en douce. C'était donc cela. La bibliothèque.

Tout devenait clair.

La salle de repos possédait un mur entièrement recouvert d'étagères pleines à craquer de livres, d'après les dires d'Emma.

Mais oui bien sûr !

Tout comme le lieu de leur dispute.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant