87.Samuel

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Je poussai la porte en silence. Il était quatre heures du matin, ils ne dormaient pas. Quel genre de parents ne dormaient pas à cette heure avancée de la nuit ?

Peut-être avaient-ils comme pressentis que quelque chose était arrivé. Les parents avaient-ils un instinct qui leur dictait quand un malheur était arrivé à leur enfant ? Si oui, est-ce que même les très, très mauvais parents possédaient cet instinct ?

La télé était allumée sur un documentaire qui ne les intéressait pas vraiment. Je contournai le canapé et me tint debout près de la télévision.

- Bonsoir, lançai-je.

- T'étais où ? lança mon père avec hargne.

- Parti.

- Et nous ! T'as pensé à nous un peu ! s'exclama ma mère.

- Et ton frère il est où !? continua mon père.

Nous y étions.

J'inspirai profondément.

- Isaac, ne reviendra pas, murmurai-je.

Mon père mit son documentaire sur muet et tourna vers moi un visage furieux.

- Qu'est-ce que tu racontes gamin ! s'énerva-t-il.

- Va chercher ton frère et ramène-le tout de suite ! m'ordonna ma mère.

Je serrai les dents. Ils allaient vraiment m'obliger à le dire n'est-ce pas ?

- Non. Je ne peux pas le ramener, soufflai-je.

- Ah oui ? Et pourquoi ça ne m'étonne même pas ?! s'écria ma mère. Tu passes ton temps à nous décevoir ! Tu n'es même pas foutu de ramener ton frère chez lui !

Ce fut la goutte de trop. J'explosai.

- Isaac était malade ! Vous vous souvenez ? Ce jour où il vous l'a annoncé et qu'au lieu d'en avoir quelque chose à foutre vous m'avez engueulé ! Eh bien voilà ! Il était malade !

Ils restèrent muets. Mes mots avaient fait leur petit bonhomme de chemin dans leurs têtes.

Je conclus :

- Isaac ne reviendra pas. Il ne reviendra plus jamais parce qu'il est mort ! dis-je avec un tel calme que j'en parus effrayant.

Le silence de plomb qui s'abattit sur la pièce me fit vaciller. Pas une larme ne coulait sur mes joues. J'étais bien trop furieux contre mes incapables de parents pour penser à pleurer.

- Il est, il est mort ? bégaya ma mère.

Elle me faisait de la peine. Les larmes qui ravageaient son visage étaient réelles, je le savais. Pleurerait-elle comme cela quand ce sera moi qui mourais ?

- C'est ta faute.

La voix de mon père avait claqué, sèche et remplie de haine.

- C'est toi qui l'as éloigné de nous. C'est toi qui nous as empêchés de le voir. C'est toi qui l'as isolé, siffla-t-il.

J'étais tellement abasourdi que je ne dis rien.

- S'il est mort c'est ta faute ! Tu nous as tous pourri la vie et tu es allé jusqu'à pourrir sa santé ! cria-t-il.

Il délirait. Ça ne pouvait pas en être autrement. Il délirait.

- Tu es en train de m'accuser de la mort de... mon frère ?

- C'est ta faute ! répéta-t-il.

Ma mère ne disait rien, elle s'effondrait en silence.

Je reculai d'un pas. Comment pouvait-on accuser son propre fils de la mort de son autre fils ? Il n'était pas sérieux, n'est-ce pas ?

Je n'entendais même plus ses mots. J'étais enfermé dans un brouillard d'incrédulité, d'incompréhension. Il était fou, il délirait.

- C'est ta faute !

Je reculai encore, m'enfuis.

Je ne pouvais pas rester ici une seconde de plus. C'était insupportable.

Je sortis en courant. Je voulais leur annoncer la terrible nouvelle, c'était fait. Et ce serait la dernière fois qu'ils me verraient. Ça, c'était une promesse.

Je marchai d'un pas tremblant. J'étais en colère, et je ne comprenais pas. J'étais dans un état étrange, comme dans un entre-deux.

J'atteignis la voiture en quelques minutes. A l'instant où les yeux d'Emma croisèrent les miens, le brouillard se dissipa.

J'entrai dans la voiture.

- Bon, je vais où maintenant ? demanda Jordan.

- Rentre.

- Ok l'artiste, on y va.

Il démarra la voiture pour la troisième fois de la soirée et s'engagea sur la route.

Le trajet fut tellement silencieux que le silence me brisa les tympans. Lorsque j'entrai dans la maison, Noah et Thaïs étaient en pleine partie de dames. Ils s'arrêtèrent de jouer en me voyant entrer.

Je devais être en piteux état. Mes cheveux étaient encore plus en bataille que d'habitude, mes yeux rougis par les larmes.

Je m'affalai sur un coussin à côté de Noah. Jordan et Emma nous rejoignirent quelques minutes plus tard.

- Désolé d'avoir gâché l'ambiance les gars, dis-je d'une voix enrouée. J'avais une petite urgence du type « mort imminente », tentais-je de plaisanter.

- Arrête Sam. Tu te fais du mal tout seul, souffla la petite blonde.

Je me tue. Cela ne changeait pas grand-chose de toute façon, j'avais déjà l'impression d'être mort.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant