85.Samuel

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Je tremblais. Je tremblais tellement que j'avais l'impression de faire trembler la voiture.

Jordan conduisait comme un fou sur la route de l'hôpital, si bien qu'en quatre minutes, nous nous retrouvâmes devant l'immense bâtiment blanc.

Je sortis de la voiture la main d'Emma serrée dans la mienne et m'élançai en courant vers la porte automatique.

Isaac.

Je traversai le hall, montai les deux étages en courant, ouvrit la porte à la volée. Mes yeux débordaient de larmes, c'était devenu une habitude maintenant.

Trois infirmiers tentaient de stabiliser son état, de vider ses poumons du liquide étrange qui les emplissaient. Pourtant ils savaient. Ils savaient que c'était vain, ils le savaient aussi bien que moi, aussi bien que mon frère.

Je m'approchai du lit sans cesser de trembler. Ça aussi, c'était devenu une habitude.

Il était là, le teint cireux, le visage couvert de sueur, ses yeux fermés cernés de violet.

- Is', murmurai-je, à moitié étouffé par mes larmes.

Il ne me répondit pas. Les affreux bip du moniteur cardiaque continuaient, ça voulait dire qu'il était encore en vie.

- Is', répétai-je.

Cette fois-ci il ouvrit les yeux.

- Isaac, sanglotai-je. Isaac je t'aime.

Je sentais Emma derrière moi, j'entendais ses sanglots contenus, j'imaginais sa main posée sur sa bouche.

- Isaac, Isaac ne pars pas, le suppliai-je.

Il ne répondit pas, ses yeux plantés dans les miens, ses lèvres desséchées s'étirèrent en un faible sourire.

- Isaac, comment je vais faire sans toi, je ne peux pas, je ne veux pas, continuai-je.

Les infirmiers continuaient à s'activer autour du corps de mon frère. Ce n'était plus qu'une question de minutes.

- Is', chuchotai-je. J'ai besoin de toi, tu ne peux pas me laisser.

Le moniteur cardiaque afficha une ligne continue.

J'attrapai la main de mon frère.

- Non, non, non ! Isaac tu ne peux pas me laisser ! Reste Isaac !

Les bips réguliers se transformèrent en un bip continue.

- Isaac ! Isaac ! Isaac non ! T'as pas le droit espèce de crétin ! Pas maintenant, pas aujourd'hui, pas comme ça ! sanglotai-je. Pourquoi tu m'as obligé à aller à cette soirée hein !

Ma voix fut étouffée par mes larmes. Je suffoquai.

- Isaac, je t'aime, je t'aime crétin.

Les infirmiers s'écartèrent. Ils n'avaient plus rien à faire, ils avaient tout tenté.

- Isaac, murmurai-je en tombant à genoux.

Emma posa une main sur mon épaule.

Je fixai mes yeux à ceux de mon frère.

« Vie. »

Mon cœur explosa. Le bip cessa.

Je hurlai, de toutes mes forces, de toute ma peine, de toutes mes larmes, de toute ma vie.

Je hurlai pour lui et pour moi. Parce que j'avais mal et parce que lui ne souffrirait plus jamais.

Mes poings s'abattaient sans relâche contre le carrelage froid du sol de l'hôpital. Mes mains étaient en sang, ce même sang que mon frère crachait à chaque fois qu'il toussait. Maintenant il ne tousserait plus.

Emma m'entoura de ses bras, m'empêcha de me faire plus de mal. Elle pleurait elle aussi, en silence. Elle me serra avec force contre son cœur et je restai là. Incapable de faire autre chose que de pleurer.

Mes hurlements s'étaient tus, pas parce que je ne voulais plus hurler, mais parce que je ne le pouvais plus. La boule qui avait grossi dans ma gorge était en train de m'étouffer. Un trou s'étendait dans mon cœur jusque dans mon âme. Le noir m'engloutit.

J'avais déjà vécu ça, la deuxième fois était pire.

Mon moi intérieur était en train de devenir fou, il hurlait, frappait, pleurait. Comme un ouragan qui se déchainait dans mes entrailles.

J'avais mal à en pleurer.

J'avais mal à en crever. 

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant