89.Emma

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J'avais raccompagné Sam jusqu'à la boulangerie de Cody ce matin. Il n'était plus le même. Il n'avait pas fait une seule blague de tout le chemin, pas une seule phrase douteuse. Ça m'avait effrayé. Est-ce que Sam redeviendrait un jour le Sam que je connaissais avant le décès de son frère ? Voilà ce que j'avais pensé.

Puis j'avais réalisé que cela ne faisait que quelques heures qu'Isaac était parti, et qu'un deuil ne se faisait pas en quelques heures, mais en quelques années.

Alors jusqu'à ce que Sam soit redevenu lui-même, ce serait à moi de le soutenir. J'avais pris sa place. J'avais attrapé sa main, j'avais fait des blagues, j'avais raconté tout et n'importe quoi, je lui avais rappelé des journées qu'on avait passé ensemble. Jusqu'à la boulangerie je n'avais fait que parler.

Parler, parler, parler.

Lui changer les idées.

On était arrivés devant la vitrine pleine de pâtisseries, il s'était retourné face à moi, j'avais contemplé ses yeux bleus profonds où l'insouciance avait fait place à la douleur. Pas un seul instant je n'avais lâché sa main.

- Emma.

- Sam ?

- Tu m'en as vraiment fait voir de toutes les couleurs, sourit-il faiblement.

- C'est pas faux, grimaçai-je.

Il avait serré ma main un peu plus fort.

- Tu pars demain c'est ça ? demanda-t-il.

- Oui. Tu es sûr que tu ne veux pas venir ?

- Je dois aider ici, dit-il en montrant la boulangerie de la tête. C'est ce qu'Isaac aurait voulu.

J'avais hoché la tête.

- Je serais rentrée dans deux semaines.

- Et le lycée ?

- De toute façon je redoublerais, dis-je en haussant les épaules.

Il avait souri.

- Tu vas me manquer.

- Tu devrais venir avec moi, soufflai-je.

- Non.

- Je sais.

Le silence avait plané sans qu'aucun de nous ne bouge.

- Et ta mère ?

- Elle s'est réveillée hier. C'est son idée de m'envoyer chez Thaïs. Elle m'a dit que je pouvais partir, crois-moi j'ai insisté pour rester. Elle m'a carrément jetée. Elle rentrera à la maison dès qu'elle sera entièrement rétablie. Les médecins veillent sur elle. J'ai peur, mais je me dois de leur faire confiance.

Il avait hoché la tête.

J'avais peur de le laisser. Il m'avait tellement aidé, tellement soutenu, il avait tellement été présent depuis ces trois derniers mois que je voulais lui rendre la pareille. C'était à moi d'être là pour lui désormais.

Et qu'est-ce que je faisais pour l'aider ? Je me barrais à une heure de Chattam. J'étais vraiment la pire amie qui soit.

- Ça va aller ? demandai-je.

- Oui, enfin je crois.

Il avait lâché ma main.

- Emma ?

- Oui ?

- Merci de m'en avoir fait voir de toutes les couleurs, chuchota-t-il.

Sa main droite avait glissé le long de mon visage, il avait avancé d'un pas. Mes yeux rivés aux siens, immense océan bleu foncé. Sa main gauche avait frôlé mes côtes, était descendue jusqu'à mes hanches.

J'avais vu son visage s'approcher du mien, ou plutôt ses yeux s'approcher des miens.

Bleu, vert.

Doucement, ses lèvres avaient effleuré les miennes, sa main gauche avait glissé dans le creux de mes reins et bientôt, nos corps n'avaient plus fait qu'un.

Mon ventre s'était contracté, avait explosé en un millier de petits confettis. Puis je m'étais abandonnée.

Ses lèvres chaudes sur les miennes, sa main dans mon dos, l'autre dans mes cheveux. Mes mains à moi posées sur son torse, mes yeux fermés dans une tentative vaine pour enregistrer chaque sensation de cette nouvelle expérience.

Lorsque nos lèvres s'étaient séparées, que nos yeux s'étaient retrouvés, le sourire qui illuminait son visage m'avait réchauffé le cœur. Il m'avait pris dans ses bras.

- Tu m'as sauvé Emma, avait-il murmuré à mon oreille.

- Je crois que je t'aime Samy.

- Et moi je crois que c'est réciproque.

On s'était séparé comme cela.

J'étais rentrée à la maison en passant par l'hôpital. Sur le chemin j'avais pensé à Isaac, et à Lucas.

Après l'accident, quand tout le monde avait commencé à connaitre mon histoire, ma vie avait brutalement changée. On me fuyait, on me regardait avec inquiétude, les gens avait peur de moi. C'était quand j'étais retournée au collège que les choses avaient empiré. Les autres élèves avaient commencé à me donner des surnoms, tels que ceux que je possédais maintenant, « le monstre » étant leur préféré. Puis ils s'étaient mis à m'insulter, les adolescents me bousculaient dans les couloirs, on faisait circuler toute sorte de rumeur sur moi.

Je supportais assez bien, j'évitais de faire attention à ce genre de comportement. Jusqu'à ce qu'ils se mettent à me frapper. Au début je me défendais un peu, mais j'avais vite abandonné, à cinq contre un, je perdais mon temps. Les passages à tabac devenaient de plus en plus fréquents. Pour se justifier, mes camarades me disaient, que c'était ma faute, que j'étais un monstre et que c'est pour cela qu'ils me frappaient : les monstres ne devaient pas vivre. Malheureusement, cet enfer, était devenu ma vie quotidienne, se faire insulter la journée à l'école, et tabassée le soir à la sortie.

Plusieurs fois j'avais pensé à mettre fin à mes jours, mais toute cette méchanceté gratuite, m'avaient mis dans la tête, que je méritais ce qui était en train de m'arriver. Mes harceleurs, avaient réussis à me faire croire, que j'étais un monstre, que je devais souffrir, et cette pensée, me retenais de prendre un couteau pour me taillader les veines et me laisser mourir au fond de ma baignoire.

Dans mon esprit de gamine de treize ans harcelée, oui, je l'avais mérité. Parce que j'avais tué mon frère.

Aujourd'hui, j'essayais de tenir la promesse que j'avais faite à Thaïs. Je ne voulais plus me rendre coupable d'un crime que je n'avais pas commis. Je ne voulais plus m'obliger à vivre avec la culpabilité de la mort de mon frère. Parce que ce n'était pas ma faute. Un coup du destin qui m'avait fait souffrir et avait ôté la vie de l'être le plus cher à mes yeux. Mais ce n'était pas ma faute.

Après l'hôpital j'étais partie à la gare avec Thaïs et Jordan et puis on était monté dans le train.

Mon regard fixé à la fenêtre, j'observai le paysage défiler à toute allure.

Bleu-vert.

C'était fini. C'était bel et bien fini. Ma vie pouvait enfin commencer.

« Tu vois Lucas, ta petite sœur a bien grandit. »

Mon regard passa sur le visage endormi de Danette, puis sur celui, concentré de Thaïs.

Je n'étais plus seule.

Plus jamais je ne serai seule. Car je l'avais lui, je les avais eux. Ils étaient tous là.

Et même si nous étions en miettes. Même si la douleur rythmait nos journées. Même si les larmes écourtaient nos nuits.

Nous ne serions plus jamais seuls.

Nous étions ensemble.

Et nous nous reconstruirions ensemble.


                                                                                            FIN.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant