23.Emma

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J'étais debout sur cette barrière, tout en haut du pont.

Je sais ce que vous allez vous dire :« Elle a vraiment supporté tout ça pour finir de cette manière ?»

Je vous répondrais juste, que c'est le cours des choses. Que le poids de mon passé est devenu trop lourd, et qu'il est sur le point de me faire sombrer. Je vous dirai que l'absence de Lucas est trop pesante, qu'avoir la responsabilité de son décès est trop dur à supporter. Je vous raconterai que la violence de mon père à finie par m'achever, et que ma mère ne suffit plus à me faire garder les idées claires.

Est-ce que vous avez compris ? J'espère que non. Je ne voudrais pas vous faire endurer ce que moi j'ai subie.

Toujours est-il, que je me tenais debout sur cette barrière, le corps douloureux et le cœur vide. Mon poignet pendouillait doucement près de ma cuisse, me faisant un peu plus mal à chaque mouvement. Un simple coup de vent et je tombais en avant. Un seul pas me séparait du vide.

« Mais à quoi pense-t-elle en faisant ça !? »

Honnêtement ? A rien. Ma tête était vide, je n'entendais plus que le silence. On dit qu'après la pluie vient le beau temps, alors après les cris vient le silence. Le temps aidait les gens à guérir, moi, il m'avait aidé à dépérir.

La perte d'un être cher vous noircit le cœur, mais le mien était déjà noir. Mon ciel était devenu orage et ma vie avait continué à s'enfoncer toujours plus loin dans l'enfer. Autant aller directement à la rencontre de Satan.

Ils étaient tous derrière moi, tous ces gens qui ne disaient pas un mot. Ils m'observaient, essayant de déterminer à quel moment j'allais sauter. Leurs téléphones à la main, bien sûr, ce serait trop bête de rater un suicide en direct.

- Emma !

Je me retournai, un peu trop brusquement d'ailleurs. Je vacillai, mais réussi à me rattraper. Noah avançait vers moi, les yeux écarquillés.

Ma voix claqua plus rauque qu'à l'origine dans le silence angoissé de la rue.

- N'approche pas.

Mon ton était tranchant. S'il approchait je sautais. Je me retournai face au vide. Scrutai le sol, une bonne dizaine de mètres je dirais.

Est-ce que ça allait faire mal ?

De toute façon je m'en fichais. Rien ne pourrait être pire que tout ce que j'avais dû endurer.

- Pourquoi ? Emma ne fais pas ça !

Mister Bouclettes était arrêté à environ cinq mètres de moi, il pleurait, je crois. L'incompréhension se lisait sur son visage.

- Mais pourquoi tu veux faire ça putain ! hurla-t-il. Tu déconnes là ! Tu ne gagneras rien à mettre fin à tes jours comme ça !

C'était ce qu'il pensait. Pourtant il savait que je souffrais, il savait qu'en sautant, plus rien ne pourrait me faire du mal, il le savait, mais ne voulait pas s'y résoudre.

- Emma je t'en supplie ne fais pas ça !

Des larmes coulaient sur mes joues sans que je ne sache d'où elles venaient.

« Tu viens trop tard Noah. »

Je n'avais plus rien à perdre. J'avais déjà tout perdu.

Il continuait à me parler, espérant me faire changer d'avis, mais je ne l'entendais plus. Plus rien ne m'atteignait. Je continuais de pleurer. Plus rien ne servait de se retenir, à quoi bon, j'allais sauter de toute façon.

Rapidement, ma vie repassa devant mes yeux. Je revis le sang, les bleus, les coupures. Je revis les cris, les larmes, les rires. La douleur, la peine, la peur.

Comme un mauvais film, je revis ma vie foireuse. Ces moments terribles, ces moments heureux.

Je revis notre dispute, je revis mes rencontres, je revis mes humiliations.

J'aperçus les fantômes de mon passé, les tyrans de mon présent. Je visionnais ces images comme si jamais je ne les avais vécues.

Thaïs, nos fous rires et nos crises de larmes.

Manon, ses mauvais coups et ses insultes.

Rashel, nos moments complices et sa trahison.

Lucas, sa bienveillance et la chaleur de ses câlins.

Maman, nos journées shopping parmi nos journées de terreur.

Papa, sa violence et son alcool.

Noah, ses questions agaçantes et cette sortie glaces.

Sam, ses blagues nulles et son sourire chaleureux.

Certains avaient fait beaucoup pour moi. D'autres avaient contribués à ma destruction.

Certains m'avaient beaucoup aimé, et moi, je les avais tous aimés à ma façon.

Plus rien ne pouvait m'arrêter, j'allais m'envoler vers la liberté dont j'avais toujours rêvé.

« Quelle fin décevante. » C'est sûrement ce que vous pensez, et nous la partagions cette pensée, cependant, je m'efforçais de ne plus penser à autre chose qu'à la libération qui m'attendait.

Noah pleurait toujours derrière moi, il continuait à me parler sans oser bouger.

Je me retournai et lui sourit. Un sourire sincère qui signifiait « sèche tes larmes, je suis enfin libre ». Puis je me préparai à sauter.

Un hurlement retenti dans mon dos.

- EMMA NON !

Adieu, merci de m'avoir aimée.   

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant