Les Fantômes de Nos Passés

17.Emma

Il était 15h et j'avais terriblement envie d'une glace.

Mister Bouclette m'avait vanté les mérites d'une petite boutique que personne ne connaissait dans le centre-ville et je devais bien avouer qu'il me l'avait super bien vendue sa glacerie ! Je trouvais ça bizarre que je ne la connaisse pas étant donné que je vivais à Chattam depuis l'enfance, mais ça ne m'étonna pas qu'un gars comme Noah fréquente de petits producteurs plutôt que de grands centre commerciaux.

Je le suivis dans le dédale de rues qui menait à cette fameuse boutique.

Me faire payer une glace, ce n'était pas quelque chose qui arrivait souvent, alors autant en profiter. Et puis, même si je profitai juste de sa gentillesse, il en était conscient, alors ce n'était pas si méchant que ça.

N'est-ce pas ?

Après la nuit ou Samuel m'avait sauvée, j'avais fait une pause dans le lycée. Une semaine, parce que ma mère n'avait pas voulu plus, mais honnêtement ça m'avait fait du bien. J'étais restée seule dans la chambre d'hôtel miteuse qu'on avait loué. Sans voir Sam, sans voir Noah, sans voir Manon, ni même Thaïs. J'avais coupé mon téléphone et j'avais passé tout mon temps à lire. Je ne sortais que pour aller à la bibliothèque ou à la librairie.

Je n'avais pas donné mon numéro à Sam comme il le souhaitait, cependant, quand je m'étais réveillée ce matin-là, j'avais trouvé un post-it accroché à la porte avec le numéro du petit blond. Je l'avais glissé dans la coque de mon téléphone sans réfléchir.

C'était clair qu'il m'avait beaucoup aidé, et je lui rendrais service s'il me le demandait, mais je ne voulais pas prendre le risque de le revoir, et encore moins de m'attacher à lui. Aussi, je m'étais contenté de prendre le post-it sans l'ajouter à mes contacts. Juste comme ça, au cas où.

- Tu veux quoi ?

- Chocolat et vanille. S'il te plaît.

Mister Bouclette s'arrêta pour commander. Je n'avais jamais fait attention à ce glacier.

Petite boutique rose pâle placé entre deux grands immeubles blanc immaculé, elle passait inaperçue. L'enseigne éclairée de jolies leds rouges indiquait « Le Grand Nord » - pas très original si vous voulez mon avis. L'intérieur était assez simple, le comptoir en bois et les étales claires apportaient une ambiance sereine au tout. Un tableau était accroché au mur à l'arrière du comptoir.

L'art, c'était ce qui me faisait vibrer. La peinture, c'était ma passion, mon sang. Pourtant jamais je n'avais ressenti un tableau de manière aussi forte. La peinture avait beau être en noir et blanc, pour moi c'était comme si les couleurs étaient présentes.

Maintenant j'avais compris ce que notre prof d'Art Plastique nous disait à chaque cours « faites ressentir les émotions ». Cette peinture n'était pas jute une peinture. C'était une scène. Une scène bien vivante quand on la comprenait. Une scène très troublante quand on la vivait.

Je tapai sur l'épaule de Noah et lui dis dans un souffle.

- Je t'attends dehors.

Je quittai la file d'attente et la boutique sans attendre de réponse.

J'avais besoin d'air. Pourtant, cette peinture ne m'avait pas retournée le cerveau comme le faisait tant de choses en ce moment, elle m'avait fait réaliser à quel point ma situation était grave. A quel point un faux sourire t'enfonçait encore plus dans ton malheur que le fait de raconter la vérité.

Mais pour moi il était déjà trop tard. J'avais caché les actes terribles de mon père toute ma vie, je n'avais connu que ça. Je ne saurais pas confier la vérité à quelqu'un. J'avais passé trop de temps à dissimuler le calvaire qu'était ma vie, j'avais passé trop de temps à effacer de ma mémoire les traces de sangs sur les mains de mon géniteur, trop de temps à dissimuler les bleus sur mon corps.