31.Samuel

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Lorsque je m'étais réveillé, j'étais seul dans la petite chambre improvisée. On ne pouvait voir à travers la fenêtre que les nuages dans le ciel, et les toits pentus de la ville.

Je m'étais assis sur le bord du lit, les jambes dans le vide, puis j'avais observé les nuages sans grande conviction. Le ciel était triste et morne, à l'image de mon humeur. J'étais descendu et j'avais rejoint mon frère à une table de la boulangerie. Il m'avait offert son croissant et on avait passé la journée à travailler à la boulangerie. Ainsi que le jour suivant.

Aujourd'hui, j'étais seul.

Je déambulais dans la ville comme un fantôme. Je n'arrivais pas à me remettre de mes émotions, je n'arrivais pas à faire comme s'il ne s'était rien passé il y a deux jours. Tout se bousculait dans ma tête si bien que je n'arrivais même plus à penser correctement. J'avais l'impression d'évoluer dans un univers parallèle. Comme si ma vie n'était pas réellement mienne.

Je crois que, mise à part la mort de Martin, je n'avais jamais pleuré autant de toute ma vie. Cela dit, ça avait été bénéfique et ça m'avait fait du bien. Comme quoi, pleurer n'avait pas que des mauvais côtés.

Je ne savais pas quoi faire.

Mes pas me menèrent d'eux-mêmes à l'endroit où j'avais rencontré Emma pour la première fois. Le lac.

Quand j'étais tombé de cet arbre, j'étais loin d'être le même Sam qu'aujourd'hui. J'étais encore un gamin, insouciant, arrogant. J'étais encore capable d'ignorer magnifiquement tous mes problèmes et toutes les choses qui me blessaient.

C'est fou comme on peut changer en si peu de temps. Ça faisait quoi ? Un mois ? Les évènements influences beaucoup les gens.

Aujourd'hui, c'était le genre de chose que je remarquais. Avant, c'était le genre de chose dont je me foutais royalement.

J'avais grandi, c'était certain. Je détestais grandir.

Il y avait cette espèce de noirceur qui venait lorsqu'on grandissait, cette boue qui nous engluait dans nos problèmes, qui ternissait les beaux éclats de rires jaune vif de l'enfance. On perdait l'innocence, on perdait le bonheur. Plus on grandissait, et plus on découvrait cette face de la vie dont l'enfance nous préserve. Cette partie de la vie, qui restait triste et morne. Qui ne changeait jamais vraiment, qui nous noyait sous les responsabilités, les problèmes, la tristesse.

Il y avait l'angoisse, le stress, la peur, la tristesse mais surtout, il y avait la colère et l'ennui. Quand les enfants devenaient grands, c'était cela, que leur réservait la vie. Une succession de malheurs entrecoupés de braves petits éclats de bonheur qui résistaient pour nous laisser l'illusion que l'enfer n'était pas si désagréable.

Je détestais grandir. Je détestais les problèmes, les larmes, la haine. Je détestais les désillusions qui nous attendaient au tournant entre l'enfance et la vie d'adulte. Je haïssais les codes, les règles, les obligations qui nous pourrissaient la vie et rendaient notre quotidien toujours plus ennuyeux. Mais surtout, surtout je répugnais la vérité.

Je répugnais la compréhension et toute la vérité qu'elle contenait. Parce que c'était lorsque l'on comprenait que le monde plein de couleurs vives qu'on connaissait s'écroulait et se teintait de gris et de noir. C'était lorsque l'on comprenait que la vie était bien loin d'être le genre de paradis que l'on voyait dans les films, que l'on imaginait dans les livres, c'était lorsque l'on comprenait, que l'on oubliait de s'aimer, de s'amuser, de rire, de sourire, d'être heureux, et que l'on grandissait.

Finalement, je n'étais pas resté au lac. Il m'évoquait trop de souvenirs de ma vie d'avant, celle où j'étais encore capable de faire semblant d'être heureux. Alors j'étais reparti, et je m'étais remis à marcher sans savoir vers où.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant