Je poussai la porte de la maison, capuche rabattue sur la tête, les yeux rivés au sol. Surtout ne pas croiser leurs regards.
Je traversai le salon d'un pas rapide, longeai le couloir, m'arrêtai devant la chambre de mon frère. Encore absent. Ça commençait à faire longtemps qu'il n'était pas rentré. D'habitude il ne partait qu'un ou deux jours tout au plus, aujourd'hui ça devait bien faire une semaine.
Je soupirai et entrai dans ma chambre, juste à côté de la sienne. Mes écouteurs enfoncés dans les oreilles, je m'affalai sur le lit. Je n'avais pas revu le mec au pavé : celui qui s'était étalé de tous son long sur le sol. Il m'avait fait bien rire, il avait l'air sympa, dommage qu'il soit parti comme un voleur. Peut-être que je lui avais fait peur. Enfin bon, je ne le reverrais sans doute jamais.
La porte d'entrée claqua violement, je retirai un écouteur et passai la tête en dehors de ma chambre. Au salon les cris fusèrent. Sam était rentré.
- Où étais-tu ? Ça fait une semaine que tu n'es pas rentré ! l'accusa ma mère.
- Comme si tu en avais quelque chose à foutre ? siffla mon frère. Ne fais pas semblant de t'intéresser à moi.
Je ne voyais pas la scène, mais je l'avais vécu tellement de fois que je pouvais dire avec certitude que le regard de mon petit frère était aussi froid et dur que de la glace. Je l'entendis avancer dans le couloir, tapant des pieds dans un geste plus qu'agaçant que je savais fait exprès pour énerver encore un peu plus ma mère.
Je rentrai dans ma chambre pour éviter les éclairs de ses yeux avant qu'il ne débarque. Je l'entendis pester et frapper dans les murs de sa chambre pour évacuer sa colère. Quand le boucan cessa enfin de l'autre côté, je sortis de ma chambre, toqua à la sienne, m'adossai sur le chambranle de la porte et l'observai sans un mot.
- T'étais où ? demandai-je doucement.
- A la boulangerie.
J'entrai et m'assit sur son lit. Debout devant moi, il retira son tee-shirt trempé et le laissa tomber au sol.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Je soupirai. Pourquoi faudrait-il toujours que je veuille quelque chose quand je voulais simplement lui parler...
- Comment tu vas Sam ?
Mon frère baissa la tête. Mon cœur se serra, mais quand il la releva, son sourire était si grand qu'on ne voyait presque plus ses yeux. La surprise se lut sur mon visage, mais j'étais rassuré.
- Je vais bien, je vais même super bien en ce moment ! m'assura-t-il.
Je souris à mon tour.
Ça faisait si longtemps que je ne l'avais pas vu sourire sincèrement.
On n'avait jamais eu une relation fraternelle exceptionnelle. On pourrait croire qu'on était proche, étant donné que c'était moi qui m'étais occupé de lui quand il était petit. Pourtant, même si on s'entendait assez bien, nous étions bien loin d'être proches. Et c'était de ma faute.
Je l'avais abandonné alors qu'il n'avait que six ans. J'avais cédé aux accusations de mes parents et j'avais lâchement laissé tomber mon petit frère. J'avais disparu de sa vie, je m'étais esquivé, j'étais tout simplement devenu un fantôme. Je l'avais tellement ben ignoré que j'avais presque réussi à me convaincre qu'il n'existait pas.
Et c'était mon plus grand regret.
Aujourd'hui nos discussions se résumaient à de simples échanges de politesse à base de « comment ça va ? » et de « bien et toi ? ». Et je l'avouai, ça ne me suffisait plus. J'aurais bien aimé savoir ce qu'il se passait dans sa tête, savoir à quel point il était brisé, à quel niveau l'indifférence de nos parents et ma trahison à son égard le détruisait.
Malheureusement, Sam était insondable, et je m'étais soucié de lui trop tard, aujourd'hui, il m'était impossible de briser le mur qu'il s'était créé pour se protéger. C'était encore plus compliqué depuis qu'il avait décidé de fuir la maison le plus possible. Je ne le voyais plus qu'en coup de vent et quand il revenait c'est en général juste pour mettre ses vêtements sales à laver.
Je le regardai mettre de l'ordre dans sa coiffure.
- Tu as aidé Cody ?
- Oui, il était en train de se casser le dos à porter les sacs.
- Pauvre gosse.
Il leva les yeux et me regarda dans son miroir.
- Tu ne devrais pas trop le plaindre. C'est vrai qu'il ne travaille pas pour le plaisir, mais il aime bien ça. Il m'a dit qu'il voudrait en faire son métier plus tard. Cody se débrouille, et il s'en sort comme un chef.
- Ouais, t'as raison.
Je me levai et m'arrêtai juste avant de sortir.
- Tu comptes repartir je suppose ?
- Non, pas spécialement, mais ne t'attends pas à me voir pendant les repas.
- Ouais.
Je sortis de sa chambre, sans rien rajouter et traversai la maison. Dans le même rituel que d'habitude, tête baissée yeux au sol. Mais cette fois ma tentative pour passer inaperçu tomba à l'eau. Mon père m'aperçut depuis la cuisine.
- Alors mon fils, quand est-ce que tu nous ramènes une jolie fille ?
Et cette même question agaçante revint se poser sur ses lèvres pour atteindre mes oreilles.
- Réponds-moi enfin ! s'impatienta-t-il.
Je serrai les poings et continuai ma route sans lui répondre. Mon père faisait une obsession du fait que je devais absolument ramener une copine à la maison.
- Isaac !
- Je n'ai que dix-neuf ans pa'. J'ai le temps, dis-je en serrant les dents.
- Mais j'attends que ça moi !
Je ne répondis pas et sortis. Dehors je respirai à grande goulées pour calmer mes nerfs et marchai vers la sortie de la partie sombre.
Parfois je me demandai vraiment pourquoi mes parents avaient décidés de vivre ici.
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Les Fantômes de Nos Passés
Novela JuvenilIl y a Emma, jeune fille harcelée à la carapace solide. Il y a Samuel, garçon joyeux à la vie compliquée. Et il y a Noah, jeune homme hanté par son passé. Trois jeunes gens au besoin criant d'aide. Trois jeunes gens avec un lien étroit. Mais le jou...