83.Thaïs

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Le jour de notre arrivée, on avait dormi dans le seul hôtel de Chattam. Et c'était l'hôtel le plus miteux que j'ai vu de toute ma vie. La moisissure s'étendait sur quasiment tous les murs, les matelas grouillaient de punaises de lits, la faïence de la douche tombait en lambeaux, l'eau qui en coulait était marron et par-dessus le marché, les murs fins comme du papier étaient infestés de rats.

Autant vous dire que ça avait été la pire nuit de mon existence et que je n'avais pas fermé l'œil une seule seconde, j'avais cru devenir folle. Au moins, cette nuit blanche m'avait permis de faire le point sur ce qu'il se passait, et de mettre de l'ordre dans mes idées.

Quand Emma était sortie de l'hôpital et qu'elle n'avait pas pu mettre un pied dans sa propre maison, c'était là que j'avais eu le déclic. Cette maison ne serait pas la sienne tant qu'il resterait des traces de son père à l'intérieur.

Alors je lui avais proposé de tout nettoyer de fond en comble, elle avait accepté. On s'était retrouvées toutes les deux à l'intérieur, serpillères et sacs poubelles à la main, prêtes à mettre un terme à tout ce bordel.

La musique avait résonné dans son enceinte et on était passées à l'action. Elle à la cuisine, moi au salon. Il nous avait fallu une journée entière pour nettoyer ces deux pièces.

Lorsque j'étais entrée dans cette baraque et que j'avais vu le monticule de bouteilles vides éparpillées dans le salon, j'avais eu un haut-le-cœur. Comment était-il possible de boire autant ?

Emma avait murmuré :

- Il s'enfilait au moins cinq bouteilles par jour. Maintenant il te suffit de compter : une semaine, trente-cinq bouteilles.

J'avais frissonné.

- Je ne sais pas comment cette ordure s'est démerdée, mais il est resté en vie. Tu sais, j'aurais eu des tonnes d'occasion de l'étouffer pendant son sommeil vaporeux ou ses comas éthyliques. Jamais je ne l'ai fait. J'avais trop peur qu'il ne se réveille et que ce soit lui qui me tue.

Je n'avais rien répondu. Que pouvais-je répondre ?

On avait envoyé mon frère faire les courses, puis on s'était attelées à notre lourde tâche.

J'avais arrêté de compter le nombre de sacs poubelles pleins qu'on jetait quand j'étais arrivée à dix. La moitié de ce qu'il y avait dans cette maison était pourrit de toute façon.

Doucement, je me remettais de mes émotions. Ce n'était pas vraiment mon habitude de pleurer devant les gens, pourtant lorsque je l'avais vue-là, assise dans son lit blanc immaculé, le sourire aux lèvres, serrant mon frère tremblant dans ses bras, je n'avais pas pu m'en empêcher.

C'était beau et triste à la fois. Ma peur était retombée d'un coup, et mes nerfs d'habitude si solides, avaient finis par lâcher. Je ne me souvenais plus très bien de ce qu'il s'était passé ensuite, mais à mes yeux ça n'avait pas vraiment d'importance. Ma meilleure amie était en vie, et c'était tout ce qui comptait.

Lorsque Jordan était rentré des courses, avant même qu'il ne passe le pas de la cuisine, j'avais su ce qui allait se passer. J'avais légèrement monté le son de la musique et je m'étais affairé à nettoyer le sol.

La discussion que ces deux-là allaient avoir ne me concernait pas, et il était impératif qu'ils l'aient. Alors je m'étais plongée à fond dans mon travail et j'avais ignoré jusqu'à la moindre bribe de leurs paroles.

Lorsque la voix de mon frère avait claqué, j'avais sursauté. Même avec la musique je l'entendais. Puis sa voix baissa et ne parvint bientôt plus à mes oreilles que des murmures étouffés par la voix de Rihanna.

Les Fantômes de Nos PassésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant