Les Fantômes de Nos Passés

80.Noah

Emma était sortie de l'hôpital hier soir. Nous étions le quatre janvier et ma sortie à moi, n'était pas pour tout de suite. Je marchais normalement, même si je n'arrivais pas trop à tenir sur des longues distances. Les médecins disaient que le choque avait rendu mes genoux fragiles et que j'avais eu une sacrée chance qu'ils ne soient pas brisés.

En bref, je ne sortirais pas avant une semaine. Ce qui, pour vous était peut-être court, mais était pour moi très – très – long. J'avais besoin de bouger, j'étouffais dans cette chambre d'hôpital.

Même si je passais la plupart de mon temps à râler, j'étais soulagé, le plus important était qu'Emma soit vivante et que je le sois aussi.

Je m'en voulais tout de même un peu de ne pas être capable de l'aider à se remettre de ses émotions. J'étais contraint de rester cloîtré dans cette chambre à la blancheur angoissante alors qu'elle était sans doute en train de traverser une des pires étapes de sa vie.

Tous les jours, la petite blonde revenait à l'hôpital pour veiller sur sa mère, et tous les jours, elle passait par ma chambre pour prendre des nouvelles, je me sentais coupable de ne pas pouvoir en faire autant pour elle.

Comme moi et comme Sam, elle avait abandonné le lycée pour l'instant. Elle était passée ce matin me voir pour me dire qu'elle avait donné nos deux lettres d'explication au secrétariat et puis elle était partie, prétextant que sa meilleure amie l'attendait. Mais la vérité je la connaissais : Emma ne supportait tout simplement plus les hôpitaux.

Après son frère qui y était décédé, sa mère s'y tenait entre la vie et la mort. Elle-même s'y était retrouvée un trop grand nombre de fois et pour couronner le tout, j'y étais enfermé pendant encore une semaine entière. Alors oui, je la comprenais. Et quelque part, moi aussi, je commençais à détester les hôpitaux.

Hier, alors que j'étais en plein repas, ce n'était pas la petite blonde qui était rentrée, mais un grand type à la peau mate et aux yeux chocolat. C'était le garçon qui était arrivé avec Thaïs quand je l'avais appelée, c'était ce même garçon qui s'était précipité à la vitesse la plus lente possible dans les bras d'Emma et c'était lui qui s'y était écroulé en larmes. Le jumeau de Thaïs, le meilleur ami d'Emma. Et j'étais incapable de me souvenir de son nom.

Il avait refermé la porte derrière lui, s'était avancé, puis, au pied de mon lit, il s'était immobilisé et il avait lancé d'une voix dénuée de vie :

- Salut.

- Salut.

- Noah c'est ça ?

- Et toi tu es ?

- Jordan.

Il avait laissé le silence s'installer, sans jamais retirer ses yeux hypnotisant des miens complètement hypnotisés. Et puis il avait repris, comme un conteur qui instaure le suspens dans son histoire.

- Comment est-ce que tu l'as connue ?

- Qui ça ?

- Emma.

J'avais été surpris d'abord, puis je m'étais souvenu de l'expression de profonde inquiétude sur son visage quand il avait débarqué à l'hôpital.

- On est dans la même classe, j'avais répondu.

- Ah.

Là, il n'avait plus su quoi dire. Il était resté planté, sans parler, sans bouger. Puis il s'était excusé et il avait commencé à se diriger vers la porte. Je l'avais arrêté.

- Attends.

Il s'était figé, avait tourné vers moi son regard étrange plein de ce qui ressemblait à des regrets.

- Qui est Emma pour toi ? avais-je demandé tout en étant presque certain de sa réponse.

- Ma meilleure amie, avait-il soufflé.

- Elle est plus que ça n'est-ce pas ?

A ce moment il s'était retourné entièrement. Il m'avait semblé passer une éternité avant qu'il ne réponde.

- Oui. Bien sûr qu'elle est plus que ça. Cette fille elle est tout. Elle est la force, la faiblesse. Elle est la peur et le courage. Elle est la vie et la mort. Elle est le yin et le yang. Elle est seule, et n'a besoin de personne mais sait que seule elle ne s'en sortira pas. Bien sûr qu'elle est plus que ça. Elle est tout, et pourtant elle n'est rien.

Ses paroles m'avaient stupéfié et je n'avais rien compris.

- Ce n'était pas ce que je voulais dire, commençai-je.

- Je sais.

Le silence était revenu, il restait là, et je ne savais plus quoi dire. Je n'avais jamais vu quelqu'un d'aussi perdu, jamais fait face à des yeux comme les siens, aussi vides et désolés. Pourtant on savait tous les deux que ce n'était pas pour ce qu'il m'était arrivé ou pour sa visite étrange qu'il était désolé, c'était pour son cœur brisé.

- Vas-y, pose ta question, avait-il lancé.

Alors j'avais obéi.

- Emma, elle est plus qu'une simple amie pour toi n'est-ce pas ?

Il avait souri. Un tout petit sourire, un sourire tellement triste. Triste, et pourtant si lumineux.

- Oui. Emma est plus que ma meilleure amie, avait-il soufflé. Emma est Ma Reine.

Sa phrase murmurée dans la plus grande des douceurs, avait plané avec force dans la pièce même après que la porte se soit refermée derrière lui. Je n'avais pas compris pourquoi il était venu, ni même pourquoi il m'avait parlé, mais ce que j'avais compris, c'était que ce mec était fou d'elle.

Décidément, Emma en avait du monde à ses pieds.