2 - Jayden

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Nicolas de Sauvière se tenait aux côtés de Nweka Agou. Les talons de la cheffe du Conseil aidant, ils faisaient la même taille. Pourtant, Nicolas s'effaçait presque derrière elle. Il n'était pas spécialement chétif, mais son métier l'amenait souvent à se faire discret. Une habitude qui s'étendait à chacun de ses déplacements.

Malgré tout, Jayden n'avait d'yeux que pour lui. Des mois qu'ils ne s'étaient pas parlé en face-à-face, chacun occupé par ses missions au sein des Corbeaux. Les courts cheveux châtain de son père avaient été ébouriffés par le vent et ses joues rougies par le froid. Il devait tout juste arriver de la gare.

— Jay, le salua-t-il en se décollant enfin de la silhouette de Nweka. Comment tu vas ?

Encore hébété, le jeune homme mit quelques secondes avant de bredouiller :

— Ben ça va. (Gêné, il se détourna en tripotant son bonnet.) Et toi ?

Nico tira une chaise pour s'installer à côté de lui, saluant au passage Freyja d'un sourire entendu. Nweka proposa un café au nouveau venu avant de retourner s'asseoir. Sa tasse fumante entre les doigts, Nicolas prit le temps de souffler un moment avant de se lancer dans le vif du sujet.

— Comme Nweka vous l'a expliqué, je vais être votre supérieur direct pour cette mission.

— Il n'y avait pas d'autres Corneilles pour nous superviser ? souffla Jay d'un ton hésitant.

Son père lui jeta un regard en biais, mais Jayden l'ignora. Il n'aimait pas l'idée d'avoir son père dans les basques. Il aimait encore moins l'idée de devoir lui obéir au doigt et à l'œil. Il l'avait suffisamment fait pendant son enfance pour continuer dans sa vie adulte.

— Eh bien, déclara Nweka en les lorgnant tour à tour, je pensais que l'expérience de Nicolas vis-à-vis de la Noblesse britannique aiderait beaucoup. Les Ancesteel le connaissent, il a beaucoup travaillé sur les menaces extrémistes avec les De Sauvière...

— Je connais son CV, grommela Jay en se renfrognant. Mais je pense pas que ce soit une bonne idée pour autant.

Nicolas soupira à sa droite, mais n'émit aucun commentaire.

— Je croyais que travailler avec ton père te motiverait, Jayden, avoua Nweka avec une moue circonspecte. Je suis désolée si ce n'est pas le cas.

— On est encore en train de perdre du temps, leur fit signaler Frey en levant les yeux au ciel. Bon sang, on s'en fout de vos histoires de famille !

— Freyja, lâcha sa mère avec un regard lourd de reproche à l'intéressée.

— Non, elle a raison, soupira Nicolas en se passant une main sur la nuque pour la détendre. Il faut qu'on fasse un point le plus rapidement possible pour se coordonner. Puis direction l'Angleterre.

Vexé d'avoir été ignoré par l'un et par l'autre, Jay jeta son bonnet devant lui en maugréant :

— Papa, je veux pas bosser avec toi, OK ?

L'intéressé lui jeta un coup d'œil puis sourit d'un air mi-figue mi-raisin.

— C'est la première fois qu'on essaie, Jay. Tu veux pas nous laisser une chance ?

— Ton père bosse bien, acquiesça Freyja en lui adressant un regard mauvais. C'est toi qui vas sortir de la mission si tu nous retardes.

— Freyja, il ne sortira pas de la mission, répliqua Nweka de sa voix délicatement ferme. Jayden, tu es prêt à essayer ? À faire des efforts ?

Le jeune homme grommela dans sa barbe. Il ne pouvait pas dire « non » alors que la cheffe du Conseil lui sous-entendait habilement d'accepter. Il s'efforça à sourire, se redressa et hocha lentement la tête, gorge nouée d'amertume.

— Oui, je peux essayer.

Sa voix était si pincée que même Nicolas fit la grimace.

— Bien. Mon assistant a déjà réservé vos billets pour Londres. Vous avez rendez-vous à l'aéroport à treize heures. D'ici là, quartier libre.

Alors que Freyja bondissait de sa chaise, visiblement impatiente de préparer ses affaires, Nicolas posa une main sur le bras de son fils pour le retenir. Nweka Agou les salua, leur souhaita bonne chance puis les laissa seuls.


Nicolas attrapa une viennoiserie et la trempa dans son café. Nerveux, Jayden fixait l'horloge électronique, son bonnet gris déformé par la danse de ses doigts nerveux.

— Ça t'embête tant que ça ? s'enquit son père en employant de nouveau le français.

— On devrait pas mélanger boulot et famille.

Son père lui jeta un regard en biais, sourire amusé aux lèvres.

— Tu as peur qu'on soit aussi nuls en tant que collègues qu'en tant que famille ?

Les trapèzes de Jayden se tendirent. Dents serrés, il marmotta :

— J'ai pas dit ça. C'est juste que... t'es mon père. On a pas... (Jayden gesticula sur sa chaise, agacé par les mots qui fuyaient ses lèvres.) C'est pas simple entre nous. J'ai peur que le cas Kyra complique notre relation plus qu'autre chose.

Pensif, Nicolas mâchouilla son croissant. Une fois sa bouchée avalée, il souffla d'un ton plus sérieux :

— Jayden, si vraiment ça t'embête... surtout par rapport aux Ancesteel...

— Je peux séparer vie privée et vie perso, lui assura le jeune homme avec hargne.

Son père leva les mains en signe de paix.

— Jay, j'ai conscience que le cas Kyra peut réveiller de mauvais souvenirs. Il en va de même pour moi. Peut-être que Nweka voulait nous associer sur cette mission pour qu'on puisse se soutenir mutuellement.

Conscient que l'argument de son père tenait la route, Jayden garda le silence. Cette situation ne lui plaisait pas. En même temps...

— Tu promets de pas jouer les pères autoritaires ? soupira-t-il en enfonçant son bonnet sur son crâne. Pour moi et pour Frey.

— Promis. Je serai votre supérieur, rien de plus.

Méfiant, Jay le dévisagea quelques secondes plus acquiesça du menton.

— OK. Et... on bosse sur Kyra. Pas sur maman.

— Oui, Jay. Je sais bien.

Nicolas lui serra de nouveau le bras avant de se lever.

— On fait un point avec Freyja dans une heure, ça te va ? (Comme Jay hochait la tête, l'homme se permit un sourire.) Je vois que c'est toujours... électrique entre vous deux.

Jayden afficha un air ennuyé en pinçant les lèvres.

— Ben elle est toujours aussi impatiente et prétentieuse. Elle a pas changé.

— Elle reste la seule à être passée devant toi dans le classement de votre promo.

Agacé par le rappel, Jay se leva abruptement de sa chaise.

— On se retrouve ici dans une heure.

Sans un regard en arrière, il enfonça les mains dans les poches et sortit de la pièce.

Cette mission s'annonçaitparticulièrement pénible.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant