Interlude

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Kyra filait. La lumière grise du matin se reflétait dans les flaques d'eau sur les bas-côté. L'air vicié par les pots d'échappement lui piquaient les poumons. Il ne ralentit pourtant pas alors qu'il s'éloignait le plus possible des quatre lumières. Quatre lumières qu'il percevait encore dans un coin de son esprit. Quatre lumières qui ne brillaient pas tout à fait avec la même intensité. L'une d'elle surplombait les autres en éclat – Jayden.

L'image du jeune homme avec ses mains levées, capables d'accomplir des choses grandioses, le percuta. Kyra trébucha sur un pavé inégal, rétablit son équilibre sans cesser de courir. On lui jetait parfois un regard étonné – avant de se détourner aussitôt. Après tout, Kyra avait vu d'autres enfants dans les rues de Liège.

Quand les lumières finirent par disparaître de son esprit, Kyra s'autorisa à ralentir. Sa poitrine le brûlait. Ses yeux le brûlaient. Même sa gorge. L'air était pollué, gorgé d'humidité. Et puis quelque chose d'autre remuait sa poitrine, ses tripes, ses pensées.

Jayden le fascinait, car c'était le premier Mutabilis à pouvoir réellement le bloquer. Mais Kassandra et Ichika avaient exercé une autre forme d'envoûtement. Par les mots. Les idées. La curiosité, la projection, les possibilités.

Une maman. Amel. Elle pouvait durcir sa peau. Comme lui.

Évidemment, comme lui.


Kyra mit fin à sa fuite à l'orée d'un sous-bois. Ses jambes tremblaient de fatigue et il respirait bruyamment sous la canopée. Une fois ses oreilles vidées de l'écho de son propre cœur, il se laissa bercer par le pépiement des oiseaux et le brouhaha lointain de la circulation urbaine.

Les mains enfoncées dans la poche ventrale de son sweat, il hésitait. Atteindre les Crommelynck était tout bonnement impossible à cause des quatre Corneilles. Et puis, quelque part dans les tréfonds de son esprit curieux, celui qui lui rappelait qu'il n'était encore qu'un enfant, il y avait ce désir de ne pas s'opposer à eux. D'aller dans leur sens, pour voir ce que ça pourrait faire. Jayden lui avait promis de l'entraîner, de le rendre encore plus fort. Ichika et Kassandra lui offraient sur un plateau d'argent la possibilité de découvrir un pan effacé de son histoire.

Et c'était là tout l'enjeu : d'être la main qui dirigeait les pions sur le tableau de sa propre vie. Kyra en avait le vertige. Une boule dans le ventre. Pas la même excitation que lorsqu'il partait en chasse aux lumières. Pas la même appréhension que lorsqu'il rendait compte à Zakka.

Quelque chose de plus dense. Impossible à saisir.

Des vibrations dans sa penche ventrale. Kyra navigua dans la confusion le temps d'un battement de cœur. Le temps de se rappeler le téléphone que lui confié Zakka avant qu'ils se séparent, à Bruxelles.

Il l'extirpa de son sweat avec des doigts gourds. Le fond d'écran était noir à l'exception de l'horloge numérique. Et de cette barre en bas qui annonçait un appel entrant. Kyra décrocha plus par crainte de manquer l'appel que par réel désir d'échanger avec son interlocuteur.

— Allô ? fit-il d'une voix menue, comme inquiet à l'idée qu'on l'entende au milieu des troncs d'arbre gris et silencieux.

— Kyra. Où en es-tu de ta mission ?

Zakka, toujours droit au but. Une qualité de Kyra appréciait, en temps normal. Quand il fallait agir, réagir. On l'avait formé dans une optique similaire d'efficacité et de concision.

Mais ce n'étaient plus vraiment des temps normaux. C'étaient des temps d'incertitude, de ciel menaçant et de pollution mentale. Des temps de sang qui ne coule plus, de larmes sèches et de cris silencieux.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant