20 - Jayden

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L'horloge au-dessus de la porte d'accès à la chambre secondaire affichait huit heures. Assis au bord de son lit, Jayden égrena les secondes dans sa tête. L'équipe de Corbeaux ne tarderait pas à faire résonner leurs pas dans le couloirs, leurs poings sur le battant, leurs paroles dans son crâne.

En face de lui, par la porte entrouverte, Nour le dévorait de ses grands yeux bruns. Contrairement à Jay, elle n'avait pas pris la peine de se vêtir de l'une des tenues que le Conseil avait fournies. Les vêtements achetés dans les grandes enseignes de prêt-à-porter de Genève ne l'attiraient guère. Depuis quatre jours qu'ils se côtoyaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, Jayden ne l'avait vue retirer son pyjama que pour enfiler le sweat qu'elle portait lors de l'attaque.

Comme l'ex-assassin ne faisait pas mine de parler, Jay leva de nouveau les yeux. Huit heures et une minute. En retard. Allaient-ils commencer une nouvelle forme de tourment psychologique ? Les maintenir enfermés dans une chambre d'hôtel double sans possibilité de contact avec l'extérieur ou avec leurs proches n'était donc pas suffisant ?

Jayden soupira en se levant. Aussitôt, radar-Nour braqua le faisceau de sa curiosité sur lui. La cohabitation le rendait encore plus nerveux. L'enfant parlait à peine, se déplaçait tout juste et regardait beaucoup trop. Leurs rares discussions étaient pleines d'hésitation, de crainte ou de mélancolie. Il y avait eu quelques éclats de rire entre eux, des envolées qui leur avaient échappé, mais qu'ils avaient réfrénées avec hâte. Jayden ne lui avait rien dit, mais il avait lu sur son visage une honte similaire à la sienne.

Comment étaient-ils encore capables de rire en dépit des blessés, des morts et de leurs échecs personnels ?


Huit heures cinq venait de passer quand les coups contre la porte le tirèrent de ses pensées. Morose, Jay se rassit au bord de son lit. Malgré la muselière chimique qu'ils lui administraient quotidiennement, les Corbeaux restaient tendus en sa présence. Depuis le début, ils l'obligeaient à s'asseoir pour lui piquer le bras. Comme si Jay allait les étouffer avec un oreiller en plumes ou leur balancer ses chaussons à la tête.

Après s'être annoncés, les Corbeaux déverrouillèrent la porte puis se faufilèrent à la queue leu-leu dans le couloir d'entrée. La femme du trio referma soigneusement derrière eux avant de s'avancer au milieu de ses collègues.

Il commençait à connaître ce trio. L'homme-venu-en-paix, la-femme-presque-comme-lui et le bodybuildeur-qui-donnait-de-sacrés-coups. Les Corbeaux que Jay avait affrontés lors de l'attaque quatre jours plus tôt. Les deux premiers n'abaissaient jamais leur muraille, mais au moins étaient-ils plus avenants que leur collègue. L'homme à la capacité de surdéveloppement musculaire avait pris Jay et Nour en grippe. Il reprochait au premier sa trahison, à la deuxième son existence.

Jayden ne pouvait pas lui en vouloir. Au-delà des sermons du trio, de Joseph Anderson et d'autres adultes qui étaient passés les voir, ses prises de décision le hantaient chaque nuit. Son père l'avait mis en garde plus d'une fois sur ses dérapages au cours de la mission Kyra. Et c'était une glissade de grande ampleur qu'il avait empruntée en prenant la défense de l'assassin de l'UOM.

Tandis que la Mutabilis aux facultés psioniques similaires aux siennes déverrouillait un attaché-case sur le bureau, Jay remonta la manche de son sous-pull. Les Corbeaux n'étant définitivement pas des soignants, la peau pâle de son avant-bras était constellée de petits bleus.

— Allez, Kyra, le bras, gronda M. Muscle en glissant dans la pièce secondaire où le lit de Nour était installé.

L'enfant se battit avec ses draps pour reculer jusqu'à la tête de lit. Jayden serra les dents sans émettre de commentaire pour autant. Les premiers jours, il avait pris sa défense, hué les Mutabilis venus en nombre pour maîtriser une enfant de dix ans privée de ses pouvoirs. Quand les taloches étaient parties pour lui, que ses reproches s'étaient écrasés sur les Mutabilis sans les faire sourciller, Jay avait capitulé. Avec les molosses, ça ne servait à rien de jouer à qui tire le plus fort sur la corde.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant