5 - Freyja

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Il faisait jour quand Frey ouvrit les yeux. À travers les rideaux fleuris – avaient-ils été changés depuis le début du XXIe siècle ? – elle devina un ciel blanchi par les nuages bas d'hiver. Elle frissonna en s'extirpant des draps et trouva le courage de se déshabiller dans la salle de bains le temps d'enfiler sa tenue du jour.

Les gonds de sa porte grincèrent lorsque Freyja se glissa dans le couloir. Personne à l'horizon. Elle envoya un rapide texto à Jay pour lui demander s'il était debout et entreprit de descendre les escaliers. Au moins ceux-là ne faisaient pas de bruit.

Au rez-de-chaussée, elle retint un hoquet de frayeur quand une domestique au pas vif lui passa sous le nez pour rejoindre ce qu'elle soupçonnait être les cuisines. Elle avait oublié que les Ancesteel employaient des aides pour gérer l'intendance du manoir. S'ils n'étaient pas suffisamment nombreux pour nécessiter des cuisiniers, le ménage et l'entretien des jardins étaient une autre paire de manche.

L'estomac rempli de gargouillis, Frey suivit la domestique pressée pour l'interpeller :

— Bonjour, excusez-moi ? (Comme la femme se retournait dans un mouvement sec, sourcils froncés, Frey ourla ses lèvres d'un sourire poli.) Vous savez où je peux trouver de quoi manger un bout ? Et boire quelque chose de chaud ?

La domestique claqua la langue en donnant un coup de menton en direction de Frey.

— J'suis en train de dresser la table pour Sir Ancesteel et ses invités. Vous avez qu'à attendre.

La façon de dire avait été rude, mais au moins était-ce clair. Freyja remercia son interlocutrice avant d'opérer un demi-tour. Les mains enfoncées dans les poches de son long gilet à grosses mailles, elle se résolut à déambuler dans le manoir en attendant que le petit-déjeuner soit prêt.

Après avoir lorgné des portraits peints à l'huile dans le salon, essuyé une trace de poussière sur un manteau de cheminée et s'être amusée à estimer le nombre de pièces dans ce manoir tout en longueur et volumes conséquents, Frey remonta à l'étage. Avec la faible luminosité matinale et le silence des dormeurs, les lieux ne se prêtaient pas à la bonne humeur. Elle avait d'ailleurs du mal à imaginer Jayden enfant parcourant ces couloirs, jouant dans ces jardins, dévalant les escaliers à toute allure... Ses bêtises, son existence bruyante, n'avaient pas dues être au goût de tous.

La jeune femme ralentit le pas près d'un buffet en vieux bois sombre. Elle ne s'était pas aventurée dans cette partie du manoir la veille. Les chambres ne s'y situaient pas, après tout. Avant de poursuivre son exploration, elle inspecta les cadres photo sur le buffet. Bien qu'en noir et blanc et vieux de plusieurs décennies, l'un des clichés attira son attention. Freyja s'imagina que le petit garçon aux cheveux clairs et appuyé sur un canne en bois dégrossi était Charles Ancesteel. Jay lui avait expliqué qu'une fracture du genou survenue quand il était très jeune avait handicapé le patriarche toute sa vie.

En quelques secondes, Freyja fit le tour des Ancesteel sur cinq générations. La photo la plus récente montrait une adolescente au sourire tranquille et aux longs cheveux blonds assise devant un gâteau d'anniversaire. June, réalisa Frey en reconnaissant James Ancesteel en arrière-plan. La cousine de Jayden.

Elle trouva même un cliché avec son ami-partenaire-rival présent dessus. Les photos de Kathleen Ancesteel n'étaient pas très nombreuses. Et la plupart dataient de son enfance ou de son adolescence. Bien avant qu'elle finisse poignardée à mort au milieu des vergers familiaux. Or, les seules photos de Jay étaient celles où il posait avec elle.

— Ben merde, marmonna Frey en s'emparant du cliché qu'elle estima le moins ancien.

Jayden devait avoir huit ans – il affichait un sourire édenté, les lèvres barbouillées de chocolat. Juché sur les cuisses de sa mère, il faisait signe au photographe. Nicolas, peut-être ? À qui d'autre Kathleen aurait-elle pu adresser ce doux sourire ?

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