14 - Ichika

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Le soir était tombé quand le portable de Kass sonna. Ichika, qui s'était installée sur un fauteuil près de la fenêtre, lui adressa un regard d'expectative. Sa copine quitta la chaleur des draps pour récupérer le téléphone sur le bureau.

— Ma mère, lâcha-t-elle dans un souffle avant d'accepter l'appel.

Assise au bord du fauteuil, le corps penché en avant, Ichika serra les dents. Kassandra n'avait pas activé les haut-parleurs, mais son expression amère traduisait sans mal la conversation.

Kass laissa Alba parler en continu pendant une longue minute avant de répondre à son tour. L'espagnol s'envola à toute vitesse entre les deux femmes, offrant peu de chance à Ichika de les comprendre. Elle saisit quelques mots à la volée avant de se résigner. Kassandra lui ferait un compte-rendu.

Crispée par l'attente, Ichika se leva pour entrebâiller la fenêtre qui donnait sur la rue calme. Elle inspira l'air nocturne chargé de l'odeur terreuse de la pluie récente. Accoudée au rebord, elle patienta jusqu'à ce que l'appel prenne fin.

Quelques pas feutrés puis les bras de Kassandra autour de sa taille. Son menton dans le creux de son épaule.

— Mes parents ont rien pu faire, lâcha-t-elle d'un ton déconfit. Ils ont appelé des Corbeaux de leurs connaissances, mais ils sont pas les décisionnaires finaux. Mon père a contacté d'autres Représentants des Éclairés et, pareil, ça a abouti à rien. On est pas assez nombreux par rapport aux Conservateurs.

La poitrine refroidie, aussi bien par l'air frais qui glissait dans ses poumons que par cette annonce, Ichika referma les doigts sur les mains de sa petite-amie. Elle n'était pas réellement surprise, mais cette déconvenue n'en restait pas moins irritante.

— Tu l'as dit à Freyja et Jayden ?

— Pas encore. (Kass soupira, déposa un baiser hâtif dans son cou.) Tu m'accompagnes ?

— Bien sûr.

Une fois chaussées, Ichika et sa copine se rendirent à la porte de la chambre voisine. Kassandra y cogna son poing à trois reprises avant d'abaisser le bras d'un air las. Une exclamation derrière la porte, quelques pas précipités puis le visage de Jayden rougi par l'effort.

Il ne portait qu'un bas de jogging. Ichika haussa un sourcil tandis que Kassandra se figeait.

— Euh, commença Kass d'un ton qui oscillait entre gêne et rire, désolée de vous déranger.

— Jay, qui c'est ? lança la voix de Freyja à l'autre bout de la chambre.

— Les filles, répondit le jeune homme avant de secouer la tête. Vous nous gênez pas.

Comme Kassandra baissait le menton d'un air interrogateur, Jay percuta. Le rouge de ses joues grimpa jusqu'à ses oreilles et il manque trébucher en voulant avancer et reculer en même temps.

— Non, euh, non. On s'entraîne.

Comme Kassandra pinçait les lèvres pour s'empêcher de rire, Ichika se permit un sourire sarcastique.

— On en doute pas.

Jayden afficha une moue consternée, pivota à moitié pour qu'elles puissent voir le reste de la pièce. Plantée entre le lit et le bureau, Freyja jouait avec sa lame en céramique.

— On se prépare, au cas où, ajouta Jay d'un ton penaud.

— Vous avez rien de plus pratique qu'une chambre d'hôtel ? marmonna Ichika en croisant les bras, perplexe.

— On a déjà demandé une salle d'entraînement, répondit Frey en remontant le petit couloir dans leur direction. Mais on nous a dit que ce serait pas avant demain.

Ichika lorgna la Corneille, nota ses cheveux tirés en chignon, son assortiment de legging et t-shirt serré. Ils s'entraînaient bel et bien, à la nuit tombée, dans une petite chambre d'hôtel. Définitivement un drôle de duo.

— Bon, fit Kass avec l'ombre d'un sourire aux lèvres, on vous laisse alors. Essayez, euh, de pas faire trop de bruits. Les murs sont fins.

Alors qu'Ichika roulait des yeux et que Jayden se décomposait, Freyja ricana. Elle tapota ses onglets vernis sur le plat de sa lame.

— T'inquiète, on va être discrets.

— J'en doute pas, souffla Kassandra avant de rire franchement face au sourire entendu que lui avait retourné Frey.

Ichika prit sa copine par le bras pour la ramener à leur chambre avant qu'elle se lance avec Freyja sur une conversation de sous-entendus qui ne manqueraient pas d'envoyer Jayden dans un puits d'embarras.

— T'es pas possible, soupira Ichika en déverrouillant l'accès à leur suite.

— T'as vu la tête de Jay ? Il est mignon.

— Il me fait de la peine.

Comme Ichika retirait ses chaussures, appuyée au mur, Kassandra glissa une main sur sa joue. Ichika devina le sourire de sa petite-amie dans la pénombre de la chambre, sentit son ventre se nouer.

— On peut faire certaines choses discrètement, nous aussi.

Ichika sourit, embrassa les doigts qui s'attardaient sur sa joue. Puis les repoussa en douceur.

— Désolée, Kass, mais... je suis trop stressée.

Sa petite-amie se rapprocha d'elle pour l'étreindre et lui caresser le dos.

— Pas grave. On peut toujours se faire un câlin de soutien émotionnel.

Rassurée, Ichika s'esclaffa avant de lui rendre la pareille.

— Je suis pas contre.

Alors qu'elles se dirigeaient vers le lit pour s'y blottir, un choc retentit de l'autre côté du mur. Elles échangèrent un regard complice, éclatèrent de rire.

— J'ose pas imaginer s'ils étaient vraiment en train de faire des trucs.

— M'en parle pas, marmonna Ichika en se glissant sous la couette.

La chaleur des draps et du corps de Kassandra blotti contre le sien ne tardèrent à dénouer ses entrailles, à détendre ses muscles et à apaiser sa respiration. Avant même d'avoir songé à serrer sa petite-amie dans ses bras, Ichika s'était endormie.

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