17 - Freyja

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Ichika avait eu un bon flair. Bruno Girandeau s'était engouffré dans une voiture qu'on avait oubliée de verrouiller. Frey n'avait pas eu le temps de reculer quand la portière s'était brusquement ouverte. Poussée vers l'arrière, la jeune femme n'avait pu que regarder le canon de l'arme à feu cracher la mort dans sa direction.

Au cours de la formation des Corbeaux, on apprenait aux jeunes recrues à réagir lors de diverses situations menant à des blessures, des paralysies ou des entraves physiques passagères. Frey s'en était toujours sortie avec d'excellents résultats, félicitée pour son sang-froid et l'ingénuité de ses réactions.

En réponse à la douleur brûlante qui lui transperça l'épaule, Freyja eut un gargouillis, un élan de pure panique et fut tentée d'effacer des années de formation d'une pensée barbouillée par la certitude de mourir.

Frey. FREY. DÉGAGE DE LÀ.

Après s'être accroupie pour éviter une nouvelle balle, elle se jeta sur le côté. Temporairement à l'abri derrière les carrosseries des voitures, Freyja se pressa l'épaule pour limiter l'hémorragie et ces insupportables vagues de souffrance qui la paralysaient des doigts jusqu'aux trapèzes.

Le souffle crispé, elle poursuivit sa route, s'obligea à ne pas crier quand une munition érafla le pare-choc du véhicule derrière lequel elle s'était cachée. Même si l'arme de Girandeau était munie d'un silencieux, l'écho résonnait entre les murs du parking. Ichika ne tarderait donc pas à venir en renfort.

Des pas de course dans les graviers. Frey poussa sur ses talons pour quitter son abri. Ahana jusqu'à la prochaine voiture, où une silhouette se dressa face à elle. Ichika s'arrêta à temps, écarquilla les yeux en apercevant le sang qui dégoulinait entre les doigts de Freyja. Elle se retint visiblement de pousser un juron, s'accroupit à côté de son amie.

Comme elle tendait les doigts vers l'épaule de Frey, celle-ci lui asséna une petite tape inoffensive.

— T'inquiète, je m'en occuperai quand on aura neutralisé Girandeau.

— Laisse-moi faire, insista Ichika en pressant son avant-bras contre l'épaule de sa coéquipière.

Comme Ichika avait déjà commencé à agir, Freyja obtempéra. Elle observa avec fascination le sang d'Ichika se mêler au sien puis durcir progressivement pour former une plaque cramoisie qui emprisonnait l'hémorragie.

— Dès que je ne te toucherai plus, mon sang va redevenir liquide et libérer le flux, expliqua Ichika en répétant l'opération à l'arrière de l'épaule. Mais si tu es capable d'encaisser la douleur, je peux enfoncer le tissu de ton sweat dans la plaie pour que ça limite la perte de sang quand je vais relâcher mes pouvoirs.

— Vas-y, siffla Frey en serrant les poings sur le bas de son vêtement. Mais fais vite, Girandeau va pas attendre longtemps.

— Je l'ai blessé en venant jusqu'à toi, l'informa Ichika d'une voix égale. Ça va le ralentir un peu.

Ichika enfonça fermement un bout de tissu dans la plaie à l'arrière de l'épaule de Frey. La jeune femme couina malgré sa préparation mentale. Les traits crispés, Ichika bascula de nouveau devant, où elle échangea un regard avec Freyja avant d'agir.

— C'est bon, grinça Frey alors que tout son corps hurlait l'inverse.

Le doigt d'Ichika plongea dans la blessure béante, y logea un morceau de sweat pour coaguler le sang dès qu'elle relâcherait son emprise. Des larmes de douleur brûlèrent les yeux de Frey, qui se plia en deux pour contenir la déferlante de feu dans son bras droit.

— On y va, cracha-t-elle en se pressant les paupières pour y chasser les restes salins.

Ichika retira son bras, récupéra son sang contre sa propre peau pour y forger sa lame habituelle. Elle aida Freyja à se redresser et se plaça devant elle.

— Pas la peine de me protéger, grommela Frey d'une voix rauque en la suivant dans l'allée du parking.

Bien qu'elle jeta un œil pensif dans sa direction, Ichika ne prit pas la peine de répondre. Elle trottina en direction de plusieurs traces de sang sur les graviers, inspecta les alentours.

— Je l'ai laissé ici, expliqua la jeune femme en grattant le sol de la pointe de sa chaussure.

— Il est pas loin, alors.

Elles se guidèrent grâce aux indices sanguinolents que l'homme avait abandonnés derrière lui. Un bout de canon pointa dans leur direction alors qu'elles approchaient du fond du parking. Elles s'écartèrent aussitôt de la trajectoire pour se réfugier chacune devant une voiture.

— On contourne chacune de notre côté pour le coincer ? suggéra Freyja en articulant exagérément pour compenser le faible son de sa voix.

Ichika hocha la tête, partit de son côté. Frey prit une grande inspiration, serra les dents en se redressant. Chaque mouvement accentuait les langues de feu qui coulaient de son épaule vers le reste de son corps.

Sous ses Doc Martens, les graviers crissaient horriblement. Freyja finit par se faire une raison, décida d'accélérer un bon coup. Elle prit soin de baisser la tête et de brandir son bras valide devant elle en débarquant au niveau de Girandeau.

Comme il avait prévu qu'elles arriveraient en tenaille, il n'était pas tourné vers elle quand Frey contourna le véhicule. L'arrivée de Freyja ne tarda pas à lui imposer une rotation. La jeune femme esquiva sur le côté dans la crainte qu'il tire, mais l'homme ne lui prêtait pas réellement attention.

Son buste était orienté de l'autre côté. Frey poussa sur ses muscles épuisés pour bondir vers lui, repousser cette maudite arme à feu. Le pistolet se révéla être complètement hors de sa portée quand Girandeau le braqua sur une Ichika déstabilisée. La balle fusa sans que Frey ou Ichika aient pu réagir.

Contrairement au tir destiné à Freyja une poignée de minutes auparavant, Girandeau s'était préparé. Avait visé juste, précis. La munition se logea en plein dans la poitrine d'Ichika.

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