5 - Kassandra

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Kassandra passait des nuits plus paisibles depuis qu'elle avait déménagé au Japon et rencontré Ichika. Oh, il y avait bien ces passages nocturnes où sa copine la réveillait à coups de pieds et de cris, prise dans la toile suffocante de ses cauchemars. Mais, de manière générale, elle n'était plus cette ado qui se retournait les méninges à propos des cours ou des garçons.

Cette nuit, Kass ne trouva pas le sommeil. Elle ne pensa ni à l'université ni aux petits-copains. Ichika ne la réveilla même pas. Et pourtant, incapable de chasser Alma et sa fille de son esprit, elle n'avait pas su plonger dans les bras de Morphée. Ichika l'avait serrée entre les siens, mais ça n'avait pas suffi.

Lasse de chercher vainement la caresse du sommeil, Kassandra se leva. Dans son dos, Ichika remua avant de demander :

— Quelle heure ?

— Huit heures quarante-cinq.

Ichika grommela dans son oreiller. Kass la regarda faire en souriant avant de s'emparer de sa robe de chambre en fausse fourrure fuchsia. D'habitude, elle aurait dévalé les escaliers pour préparer le petit-déjeuner et faire une surprise à ses parents. Mais même son estomac s'était tu.

Elle attendit qu'Ichika se soit levée pour quitter la chambre. Côte à côte, l'une encore ensommeillée et l'autre bien réveillée, elles firent un saut à la salle de bains pour se redonner apparence humaine.


Aucun des adultes n'était débout lorsqu'elles descendirent. Sans oser faire trop de bruit, elles entreprirent donc de mettre la table et de préparer le petit-déjeuner. Penchée par-dessus les poêles frémissantes, Kass laissait son esprit divaguer vers Kyra. L'assassin Tri-Pourvu de l'UOM.

Qui était aussi Nour Zahab. Petite fille anonyme enlevée pour les dons avec lesquels elle était née.

Non, elle l'est plus, anonyme et petite fille, se corrigea Kassandra en raclant les œufs d'un mouvement sec. Nour avait aujourd'hui dix ans. Elle avait passé les cinq dernières éloignée de sa mère, entraînée par l'UOM.

— Kass.

La main d'Ichika autour de son poignet ramena Kassandra dans la cuisine envahie par les odeurs d'œufs, de jus d'orange pressé et de pain grillé. Elle coupa le feu en remarquant que le blanc de l'œuf avait commencé à sévèrement cloquer.

— Désolée, souffla-t-elle sans oser regarder Ichika. J'arrive pas... j'arrive pas à arrêter d'y penser. C'est que...

Elle faillit continuer en espagnol, car le japonais semblait soudainement lui imposer des barrières de traduction. C'était pourtant une langue qu'elle maîtrisait presque aussi bien que les natifs, grâce à son omnilinguisme et à sa vie au Japon.

Mais. Les mots, les cris silencieux, qui se bousculaient sous son crâne étaient en espagnol. C'était trop, tout d'un coup, pour que son cerveau veuille faire l'effort de transmettre des pensées dans une langue qui n'était pas celle de son enfance.

— Vas-y, Kass, l'encouragea Ichika en plantant les yeux dans les siens.

Capturée par les iris noirs de sa petite-amie, Kassandra ne put que continuer et, tant pis pour la parfaite compréhension mutuelle, ce fut en espagnol :

— Ça me rend malade, de me dire qu'une fillette a été enlevée et manipulée pendant des années... Tout ça pour servir d'outil à des gens qui estiment que seule la violence fait avancer leur cause. Et Mme Zahab a raison : si elle avait prévenu le Conseil, ça aurait été une chasse à l'homme. Si Nour était pas devenue une meurtrière pour le compte d'un groupe extrémiste, elle aurait été traquée et neutralisée par les Corbeaux.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant