11 - Ichika

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Ichika savait qu'elle venait non seulement de trahir les Corneilles, mais aussi sa propre copine. Kass n'aurait jamais accepté qu'elles négocient avec cette information ; Ichika avait donc pris les devants.

Alors que Kassandra l'observait d'un air mortifié, Dana poussa un râle qui mêlait dépit et impatience. Elle rejeta ses cheveux en arrière d'un mouvement brusque, comme pour s'éclaircir l'esprit après cette annonce. L'arme reposait toujours à côté d'elle sur le canapé, mais au moins n'était-elle plus pointée dans leur direction.

— Mesdemoiselles, vous venez de faire vibrer une corde sensible chez moi, se confia la Mutabilis, les lèvres ourlées d'un sourire mesquin. Voyez-vous, Nicolas de Sauvière est... une connaissance. Un peu plus même.

Ichika s'efforça de garder une moue impassible en dépit l'acidité de la culpabilité qui attaquait sa gorge. À ses côtés, Kassandra avait l'air au bord de l'implosion. Cette constatation ne soulagea pas vraiment la brûlure dans sa bouche.

— Je pensais sincèrement qu'il resterait en Belgique, souffla Dana d'un ton pensif. Je me demande ce qui a pu motiver les Corneilles à envoyer son unité à Paris.

Les pièces du puzzle de l'UOM tentaient de s'associer dans l'esprit d'Ichika, sans qu'elle puisse en tirer un schéma certain. Comme elles l'avaient constaté, Dana ne semblait pas être informée des moindres faits et gestes de son organisation. La seule chose qui ait pu motiver le Corneilles à dépêcher l'unité de Freyja et Jayden à Paris était leur cible. Nour devait elle-même se diriger vers la capitale française.

Mais Dana ne semblait pas détenir cette information. Et, d'après ce qu'elle leur avait avoué, un différend personnel la reliait à Nicolas de Sauvière. À en juger son opportunisme, il y avait des chances qu'elle saute sur cette occasion pour régler le problème. Même si cette affaire ne concernait pas spécifiquement l'UOM, elle marquait d'une pierre blanche un début de confiance entre Dana et les jeunes femmes.

— Sans vouloir être indiscrète, avança Ichika en inclinant le menton, vous êtes liée à Nicolas de Sauvière, n'est-ce pas ? Avec sa venue, vous avez l'occasion ou jamais de...

— C'est mon cousin, l'interrompit sèchement la femme. Ce sale traître. Et ce que je compte lui faire vous regarde absolument pas, mesdemoiselles.

Une De Sauvière, donc.

— Vous ne risquez pas d'aller à l'encontre des ordre de l'UOM si vous agissez par vous-mêmes ? lança Kass d'un ton prudent.

Dana lui adressa un regard assassin avant de pousser un rire gras face à l'air décontenancé de Kass.

— Kassandra, ne vous inquiétez pas, je sais encore comment me débrouiller.

Mouchée, la copine de Kass s'enfonça dans le canapé, les mains croisées sur son giron. Sous ses boucles blondes, son visage tiré gardait une teinte pâle de malaise.

— Pour en revenir à notre collaboration, reprit Ichika d'une voix assurée, peut-on dire qu'on a passé le test ?

— Eh bien, lâcha Dana en posant les pieds sur la table basse qui les séparait. Vous avez avancé de plusieurs cases, oui. Mais avant de prendre ma décision finale, je préfère attendre quelques jours.

Avec un sourire presque aguicheur, elle fit glisser un doigt sur la crosse de son pistolet. La sueur qui avait couvert la nuque d'Ichika depuis le début de la rencontre se rappela à elle dans un élan gelé.

— Une fois que j'aurai la certitude que Nicolas de Sauvière est effectivement en déplacement à Paris et que vous me tendez pas un piège... Je vous demanderai peut-être quelques détails qui pourront vous faire intégrer l'UOM pour de bon.

Ichika afficha un franc sourire avant de hocher la tête en écho à la moue satisfaite qui plissa les traits de Dana. En dépit des valeurs qui les opposaient, Ichika éprouvait quelque chose proche de l'admiration à son égard. Elle reconnaissait à la femme son assurance, son mordant, sa vivacité d'esprit.

— Je vais me faire un café, grogna brusquement la Mutabilis. Je vous en propose toujours pas ?

Ichika déclina pour toutes les deux, Kass ayant apparemment perdu sa langue. Tandis que Dana s'éloignait dans la pièce vitrée qui faisait office de cuisine, son pistolet à la main, Kassandra se ranima.

— Ichika, pourquoi t'as fait ça ? (Comme elle savait très bien ce qui avait motivé sa copine, elle enchaîna sur des questions plus pertinentes :) Comment on va arranger ça ? Comment on expliquer ça...

— On va rien expliquer du tout, marmonna Ichika en fronçant les sourcils. Ils sauront se défendre.

Cette fois-ci, l'air choqué de Kassandra franchit la barrière mentale de sa copine. La culpabilité remonta en nausée. Ichika inspira profondément pour repousser le haut-le-cœur avant de s'emparer des mains de Kass.

— Kass, on en rediscutera une fois seules. (Elle jeta un œil vers la cuisine, où Dana ne les quittait pas des yeux à travers la vitre.) En attendant, tiens bon encore un moment. S'il te plaît.

Le menton de Kassandra trembla pendant quelques secondes avant de se plisser sous le coup de la résignation. Ichika esquissa un mince sourire en remarquer l'éclat déterminé dans les yeux noisette de sa petite-amie.

— Quel café dégueulasse.

Les jeunes femmes s'éloignèrent l'une de l'autre pendant que Dana s'installait sur le canapé en face. La Mutabilis les observa avec un sourire en coin.

— J'aurais pas parié sur des gamines comme vous, mais vous avez un truc, hein.

Pas certaine que la remarque invite à une réponse, Ichika conserva le silence. Dana prit le temps d'avaler quelques gorgées de son café miteux avant de soupirer.

— Bon, je vais pas jouer avec vos nerfs trop longtemps. Pour l'heure, j'ai rien de plus à vous demander. Dès que vous serez parties, je vais faire jouer notre réseau pour en apprendre plus sur la position de Nicolas. Suite à ça, on pourra peut-être discuter de votre intégration.

— Je vous remercie, Dana.

L'intéressée renifla avant de se lever, la main tendue.

— Je crois qu'on a cassé la glace, Ichika. Appelez-moi Morgane.

Le palais d'Ichika la brûla quand ses doigts se refermèrent autour de ceux de la femme. Sa peau, sûrement aussi froide et calleuse que la crosse de son arme, la crispa douloureusement.

— À très bientôt, je l'espère, mesdemoiselles.

Ichika lui signifia que ce n'était pas la peine de les raccompagner jusqu'à la sortie. En zigzaguant entre les rangées de bureaux poussiéreux et les encombrants abandonnés contre les murs, elle agrippa la main de sa copine.

Sa peau chaude et tendre atténua sa nausée.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant