2 - Ichika

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C'était chaleureusement décoré. Ichika n'en attendait pas moins des parents de Kassandra. Sa petite-amie avait toujours eu la corde sensible en termes de décoration. C'était elle qui s'occupait des rideaux, tableaux et bibelots dans leur appartement de Fukuoka. Son enfance passée dans une habitation où chaque tapis avait sa place, chaque couleur son importance, avait beaucoup joué sur son sens de l'esthétisme.

Même si la décoration du manoir, riche en plantes aussi nombreuses que diverses, en bibelots originaires des quatre coins du monde et en tableaux aux représentations douteuses, n'était pas au goût d'Ichika, elle reconnaissait la vie que lui avaient insufflé les Jordana.

Les parents de Kassandra les avaient fait installer dans un petit salon où crépitait une douce flambée. Des peaux de clémentine disposées sur le manteau de la cheminée embaumaient l'air de leurs effluves sucrés. Une table basse séparait une causeuse d'un turquoise sombre de deux fauteuils vert canard. Une théière et quatre coupes attendaient sagement qu'on se serve d'elles.

Confortablement installée dans un coin de la causeuse, Kass avait retiré ses bottines et étendu les pieds sur la table basse. La démarcation entre son comportement nonchalant et l'esthétique raffinée du petit salon tira un sourire à Ichika. Sa copine ne se serait jamais permis un tel comportement en temps normal. Elle devait vraiment être retournée dans la bulle de sa maison d'enfance et avoir adopté les gestes de son adolescence.

— Ils en mettent, du temps, grommela Kassandra en jetant un coup d'œil vers le couloir.

Ichika haussa les épaules sans quitter des yeux la théière en faïence verte. Des colombes étaient peintes dessus. Les parents de sa copine allaient revenir d'une minute à l'autre ; ils s'étaient éclipsés pour accompagner le thé de quelques biscuits espagnols.

Damian Jordana fut le premier de retour. Malgré sa taille et ses épaules qui en imposaient, ses petites boucles blondes et son sourire jovial lui conféraient une allure affable.

— Et voilàààà, s'exclama-t-il en japonais en déposant une boîte remplie de biscuits sur la table basse. J'espère que tu aimes, Ichika. On est plus sucré que salé, dans cette famille. J'espère que ça te coupera pas trop la faim pour le déjeuner.

L'intéressée hocha la tête en souriant poliment. Kass lui avait déjà fait goûter les gourmandises de son enfance. Ichika avait eu le temps de se faire à ces biscuits et gâteaux plus riches que les pâtisseries japonaises.

— J'amène du pain grillé et de la confiture, intervint Alba en déboulant d'un pas rapide dans le salon. Au cas où.

Elle s'exprimait dans un anglais assez distinct pour qu'Ichika la comprenne bien. Malgré la rigidité que dégageait la mère de Kass dans son attitude, ses petites attentions en révélaient suffisamment sur sa nature profonde. Contrairement à Kassandra et Damian, qui étaient très expressifs, elle ne parvenait pas à traduire son intérêt par des regards et des sourires. Ichika se sentait plus à l'aise ainsi.

Elle non plus n'était pas franchement douée avec l'effusion de sentiments.


La discussion se fit anodine, tournée autour de l'ambiance de Noël qui traînassait encore dans le manoir, de la longueur du vol qui avait amené les deux jeunes femmes jusqu'en Europe, du travail d'interprètes des parents de Kass. Elles s'attardèrent sur leurs récentes missions pour le Bureau des Mutabilis de Fukuoka, qui ne manquait jamais de solliciter leur aide. Ces Bureaux parsemaient l'entièreté des continents et servaient aussi bien de point de ralliement en cas de difficulté que de comptoir à ragots pour les Mutabilis locaux.

Au bout d'une quinzaine de minutes, Ichika était elle aussi détendue dans son fauteuil, sa tasse de thé remplie pour la deuxième fois entre les doigts.

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