8 - Jayden

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Il neigeait de nouveau. Collé au radiateur poussiéreux, Jayden examinait les jardins. Leur immobilité était à son image : trois semaines qu'ils patientaient, lui et Freyja, dans l'attente d'une nouvelle attaque, d'informations, de quelque chose. Mais rien. Rien que l'impatience grandissante, que la frustration sous-jacente. La culpabilité, l'impuissance.

Un début de migraine l'incita à se décoller du radiateur pour dégourdir ses jambes. Il n'était plus habitué à tant d'immobilité, de calme. Tout s'était enchaîné si vite pour lui depuis le lycée. Après son baccalauréat passé en France, il avait intégré les Corbeaux afin d'y être formé. Au bout de trois ans, avec d'excellents résultats en poche et l'appui de plusieurs aînés, il avait rejoint le programme de formation spéciale des Corneilles. Y avait rencontré Freyja. Puis les missions avaient commencé, s'étaient enchaînées.

Il enfila un sweat avant de sortir de sa chambre. Certaines parties communes du manoir retenaient mal la chaleur. Avant de rejoindre le rez-de-chaussée, il traversa l'aile où l'on l'avait isolé avec Frey pour rejoindre la principale. De la musique classique s'échappait de l'une des chambres.

Jayden s'y dirigea par automatisme, poussa la porte sans vraiment y réfléchir. Des habitudes, un peu impolies, de son enfance. Il savait déjà qui il allait y trouver.

Ses yeux glissèrent sur la silhouette repliée de sa cousine. Elle dessinait, sur un papier cartonné à peine plus petit qu'elle. Ses cheveux étaient retenus en arrière par un chouchou en satin qui luisait à la lumière de la lampe à pied rétro. Un mix de couleurs lui faisait comme des mitaines aux mains.

Un vague sourire aux lèvres, Jayden la quitta des yeux pour observer le tourne-disques. June et ses vieilleries. June et ses robes à fleurs, même en hiver. June et ses lunettes rondes, trop grandes, qui lui mangeaient le visage.

La poitrine du jeune homme se réchauffa alors qu'il traversait la chambre de sa cousine pour se poster près de la fenêtre. Des rideaux en dentelle masquaient en partie le paysage ensommeillé. Elle n'avait toujours pas remarqué sa présence. Plongée dans son esquisse, isolée par la musique classique.

— Eh, fit-il en récupérant un mug abandonné sur le rebord de fenêtre. T'as laissé refroidir ton thé.

Avec une moue confuse, June quitta son dessin.

— Jay. Désolée.

— T'inquiète. (Il lui indiqua la tasse froide entre ses mains.) Tu veux que je descende réchauffer ton thé ?

— Je veux bien, acquiesça-t-elle avec un sourire.

Avant de s'en aller, Jayden approcha pour voir ce qu'elle dessinait. Un champ de blé, dans le soleil couchant. Elle avait commencé à y dessiner des silhouettes.

— C'est très beau.

— Merci. Juste pour le plaisir des belles couleurs, ça a pas forcément de sens. Et puis, ça me fait oublier l'hiver.

Jay rit tout bas en se redressant.

— C'est clair que l'été me manque. Les balades dans les bois. Les soirées autour du feu.

Aussi mélancolique que lui, June hocha distraitement la tête. La lumière se reflétait dans les verres de ses lunettes, empêchait Jayden de deviner ses émotions exactes.

— J'aimerais qu'on soit à nouveau des enfants, parfois, murmura-t-elle en reposant son crayon. Que ce soit l'été et qu'on ait toutes les vacances devant nous.

Les souvenirs soudains, bourrés de rires enfantins, de courses dans les jardins, ancrèrent Jayden dans la pièce. Il ne voulait plus la quitter, casser la douceur de réminiscences communes. Il y avait peu de personnes avec lesquelles il pouvait partager un bout de son passé sans tomber dans le drame.

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