Le soleil jetait des reflets presque blancs dans les cheveux dorés de Kass. Installées dans la salle de restauration de l'hôtel, les jeunes femmes petit-déjeunaient dans les murmures étouffés des autres clients. Entourée sur deux côtés de larges baies vitrées, la pièce buvait la lumière de ce matin printanier. Ichika en plissait les paupières, quand son regard passait de son assiette encore pleine à la cour extérieure ponctuée de massifs floraux.
— Chica ?
Ichika se détourna des jonquilles et des tulipes pour considérer la moue soucieuse de sa copine. Elle avait de la confiture de fraise sur les lèvres. Ichika lui indiqua avec un demi-sourire.
— Mince, marmonna Kassandra en s'essuyant la bouche. Merci.
Après avoir reposé sa serviette, Kass lorgna l'assiette qu'Ichika avait à peine touchée. Même son thé vert refroidissait.
— J'ai pas très faim, expliqua Ichika du bout des lèvres. Depuis que...
Elle laissa sa phrase en suspens, mais l'ombre qui couvrit le visage de Kassandra conclut pour elles deux. Spontanément, sa petite-amie tendit la main par-dessus la table. Ichika retira ses doigts après une demi-seconde de contact.
Le silence qui tomba sur elles était d'autant plus lourd que les entouraient les chuchotis alentours, la machine à café ronronnante et les couverts qui tintent. Les mains crispées sur son giron, Ichika garda le cou baissé. Elle brûlait. Son visage, son ventre, ses mains. De honte, de culpabilité, de colère. De souvenirs ensanglantés et de chaleur qui disparaît.
— Ichika... murmura Kass d'une voix étranglée par la peine. Chica, regarde-moi.
L'intensité du regard de Kass lui fit plisser les yeux autant que la lumière extérieure. Kassandra avait retrouvé son entièreté, sa chaleur et son magnétisme depuis quelques jours. C'en était d'autant plus marquant qu'Ichika s'enfonçait de plus en plus dans les marasmes de son esprit.
— Pardon, chuchota Ichika, son ventre si noué qu'elle craignit de rendre ce qu'elle avait grignoté quelques minutes plus tôt.
— Ne t'excuse pas, soupira sa petite-amie en serrant le poing à côté de son assiette. Tu m'as dit que toucher les autres était insupportable depuis le décès de Bruno Girandeau. Je n'aurais pas dû oublier.
— Je l'ai tué, Kass. Tu peux dire meurtre.
Même si elles discutaient à voix basse et en japonais, Kassandra ne put s'empêcher de zieuter nerveusement autour d'elles. Une fois assurée que personne ne leur prêtait attention, elle s'avachit dans sa chaise.
— Tu voulais pas vraiment le tuer, on le sait toutes les deux. Il me fonçait dessus, il allait tirer et... tu as agi sous le coup de la peur. Tu m'as sauvée, Chica.
— À quel prix ? s'étrangla Ichika d'un ton acide.
Elle se rendit compte de l'impact des mots qu'au silence que lui retourna Kassandra. Il y avait toujours des ombres sur son visage. Mais celles-ci abritaient un dépit qu'Ichika ne lui connaissait pas.
— Je suis sincèrement désolée de ce que tu as dû faire, ajouta Kass d'une voix rauque après quelques instants. C'est ma faute aussi. Tu m'avais demandé de rester en arrière. Freyja et toi étiez capables de vous occuper de Girandeau sans mon intervention.
— La preuve que non, siffla Ichika en fermant les yeux pour chasser les traînées rouges qui dégoulinaient dans son champ visuel. Il a tiré sur Frey avant que tu arrives.
— Mais mon arrivée lui a permis de me menacer. (Les doigts de Kassandra se refermèrent inconsciemment sur ses couverts.) C'est à cause de moi que tu as dû l'arrêter de force.

VOUS LISEZ
KYRA
ParanormalFreyja et Jayden sont des Corneilles, chargés de protéger leurs semblables aux capacités extraordinaires, les Mutabilis. Lorsqu'une série d'assassinats s'abat sur des familles Nobles anglaises, ils sont mandatés pour traquer et neutraliser le suspec...