3 - Freyja

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Nicolas était déjà présent dans la salle quand Frey arriva. La jeune femme le salua d'un sourire entendu avant de se laisser choir sur une chaise. Une heure s'était écoulée depuis le point avec sa mère. Freyja l'avait passée à se renseigner au maximum sur le cas Kyra. Elle était plus que prête à prendre l'avion et à établir leur plan d'action.

— On attend Jay, je suppose, soupira-t-elle en croisant les mains à l'arrière de sa nuque.

La Corneille hocha la tête avec un demi-sourire. Comment Jayden pouvait-il être aussi nerveux après avoir été élevé par un homme à l'aura si calme ? Freyja rumina ses pensées le temps que son ancien camarade de promotion déboule dans la salle de réunion. Il avait dû sortir prendre l'air : ses joues et son nez étaient rougis.

— On t'attendait, lui fit remarquer la jeune femme en décroisant les mains.

— Désolé, grommela-t-il dans sa barbe avant de s'installer promptement sur l'une des chaises restantes.

Frey ne fit aucun commentaire sur le fait qu'il avait choisi la plus éloignée de Nicolas et elle. Elle posa son téléphone sur la table et en tapota l'écran.

— J'ai consulté toutes nos archives concernant Kyra. On a quand même pas grand-chose sur ce gamin.

— Je suis bien d'accord, approuva Nicolas en fronçant les sourcils de mécontentement. Il est très actif depuis deux mois, mais je comprends pas qu'il nous ait échappé tout le reste du temps. Il s'agit quand même d'un Tri-Pourvu.

Même si son anglais était impeccable en termes de grammaire et de vocabulaire, une trace d'accent français persistait dans ses mots. Un rappel de son pays d'origine, où Freyja avait rarement mis les pieds. Le pays était plutôt stable pour leur espèce et le Conseil s'en préoccupait rarement. Le principal danger venait des actions offensives des De Sauvière, une famille Noble déchue pendant la révolution de 1789. Nicolas était l'un des héritiers directs de la branche principale de cette famille. Et les De Sauvière ne lui avaient jamais pardonné sa trahison lorsqu'il avait intégré les Corbeaux, la police des Mutabilis.

Freyja avait eu le temps de discuter avec lui durant les missions qu'ils avaient effectuées ensemble. Même s'il n'était pas aussi loquace que son fils, elle en avait appris assez sur son passé. Un passé qui expliquait en partie l'enfance de Jayden et les tares qu'il se trimballait depuis.

— Un problème au niveau de la section de surveillance ?

La supposition de Jay fut approuvée par deux hochements de tête.

— Soit c'est une négligence de l'un des nôtres, marmonna Nicolas en pinçant les lèvres, soit nous avons été trahis.

— Trahis ?

Les yeux marron de Jay, étincelant de malice en temps normal, étaient embrumés d'une lueur stupéfaite. Il fronça le menton puis plongea dans un silence pensif.

— Bien possible, soupira Frey en se grattant le crâne. La section de surveillance, surtout celles des Sapis et Bâtards à haut-potentiel, est généralement bien contrôlée. Il y a eu un relâchement à un moment ou à un autre et...

— L'un des nôtres a pu repérer Kyra quand il a commencé à manifester des pouvoirs, estimer qu'il représentait une arme idéale, et le retrouver pour se servir de lui.

Jayden pianota des doigts sur la table. Freyja lui jeta un regard mauvais pour qu'il cesse, mais il avait le nez tourné vers son père.

— Ou on se trompe complètement de piste, nuança le jeune homme avec une grimace. Peut-être que les Corneilles ont jamais commis d'erreur. Peut-être que ce Kyra a toujours su se faire discret, jusqu'à ce qu'il ait besoin d'éclater au grand jour.

— Peu importe, lâcha Frey abruptement. Les faits sont là : ce gamin Tri-Pourvu sème la terreur parmi les familles Nobles. Il s'en prend de préférence à celles qui ont des valeurs conservatrices et veulent pas donner aux Sapis plus de pouvoir.

Nicolas et Jayden étaient tous les deux tournés vers elle. Elle cilla un instant devant leur ressemblance troublante puis enchaîna :

— Notre Conseil est là pour débattre et faire les lois, grommela-t-elle du bout des lèvres. Même si l'Union Mutabilis défend une meilleure répartition des pouvoirs entre Nobles et Sapis, l'utilisation de la violence est absolument pas justifiée.

Jay fut le premier à intervenir, un air agacé scotché au visage.

— Frey, tu le fais exprès ou quoi ? Je t'ai déjà dit de pas mettre l'UM et l'UOM dans le même sac !

Sachant pertinemment qu'il allait lui asséner ces mots, elle lui rendit un sourire moqueur.

— Je reste persuadée que l'Union Mutabilis aurait pu étouffer dans le nid les courants extrémistes qui grandissaient en son sein.

Jay se renfrogna aussitôt, mais son père ne lui laissa pas le temps de répliquer :

— Freyja, il est possible que l'UOM ait été fondée par des extrémistes de l'UM. Mais nous n'avons aucune source sûre. Les identités des membres de l'UOM sont masquées par des pseudonymes. Nous ne sommes pas certains de leurs identités réelles.

— Je sais bien. Kyra, Zakka, Shiva... que des surnoms. Et ça me rend dingue qu'on en sache pas plus.

— Moi aussi, ça m'irrite, lui avoua Nicolas avec un sourire désolé. Mais ça doit pas nous empêcher de faire notre boulot.

Manifestement vexé d'avoir été mis de côté, Jayden se redressa avant de demander :

— Et c'est quoi le boulot, exactement ? Grand-père a parlé de sécuriser leur famille, de se renseigner sur Kyra et de l'empêcher de faire plus de mal. Voire même de...

Il laissa sa phrase en suspens, incertain. Pourtant, Freyja savait exactement ce qu'il avait en tête. Elle roula des yeux face à ses hésitations puériles.

— Notre mission est de le maîtriser, déclara-t-elle d'une voix ferme. L'arrêter, l'emprisonner et le ramener devant le Conseil pour prononcer sa sentence. (Elle planta un regard féroce dans celui décontenancé de son collègue.) De le tuer, si nécessaire. S'il s'oppose trop violemment ou s'il échappe à notre contrôle.

Visage grave, Nicolas acquiesça lentement. De son côté, Jay se crispa, serra les dents puis haussa les épaules de frustration.

— On nous demande vraiment de tuer un gosse de dix ans ?

Agacée par le raccourci simpliste – trop facile – Freyja se pencha vers lui et asséna :

— Jayden, bordel, faut que ce Kyra assassine ta famille sous tes yeux pour que tu prennes conscience de sa dangerosité ?

— Je suis conscient de ça ! répliqua le jeune homme en haussant la voix. Mais je... je me refuse à l'abattre.

Nicolas lui adressa un regard compatissant.

— Jay, si tu veux te retirer de la mission, c'est maintenant.

La suggestion jeta un voile rouge sur le visage du jeune homme. Furieux, il se leva et siffla :

— Bordel, je veux pas être retiré de la mission ! Je veux protéger ma famille – et les autres.

Nicolas ouvrit de nouveau la bouche, mais Freyja fut plus rapide :

— Alors prépare-toi au pire, abruti. Si t'es incapable de te faire à l'idée de tuer pour survivre, t'es pas fait pour cette mission.

La colère déformait de plus en plus ses traits. Frey profita de son silence momentané pour achever sévèrement :

— Tu seras juste un fardeau pour nous, Jayden. Alors décide-toi vite.

Visage de marbre, elle se leva, récupéra son téléphone et sortit de la pièce.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant