11 - Jayden

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Jayden détaillait les rues parisiennes à travers la fenêtre du taxi. En cumulé, il y avait passé quelques semaines au cours de son enfance. Même s'ils avaient habité Lyon pendant de longues années, quelques excursions pour le travail de son père les avait menés jusqu'à la capitale. Ville des lumières que Nicolas évitait le plus possible, en temps normal. Après tout, sa famille, qui avait juré de le tuer, y avait ses quartier.

Si Jay n'était pas serein de mettre les pieds à Paris, c'était autant pour son père que pour lui-même. Nicolas était la cible des De Sauvière car il avait trahi leurs attentes en rejoignant les Corneilles. La principale famille Noble française était en opposition avec le Conseil et les Corbeaux depuis des décennies. Guère ravie d'avoir été déchue de son rang lors des révolutions du XVIIIe siècle, la famille De Sauvière avait déclenché plus d'une émeute et déboire politiques au fil des ans. Dans la ligne de mire du Conseil, qui prônait l'ordre et la discrétion des Mutabilis, les De Sauvière avait plus d'une fois été condamnés pour leurs agissements.

Et, Jayden avait beau ne leur avoir rien fait de particulier, être le fils de son père et avoir suivi ses traces faisait de lui la cible numéro deux.


Le taxi les déposa à proximité du cimetière du Père Lachaise, quartier où l'hôtel que leur avait réservé le Conseil se situait. Jay retrouva un peu de souffle, soulagé de ne plus être serré sur la banquette arrière avec Frey et son père. Par politesse, ils avaient laissé Bruno Girandeau monter à l'avant. La politesse n'était pas toujours très agréable.

Freyja se glissa à ses côtés tandis que Nicolas engageait une conversation anodine avec Bruno. Avec les péripéties des derniers jours, son amie n'avait pas pu se lisser les cheveux. Ses frises serrées remontaient en halo autour de son visage. D'ailleurs, la différence de longueur le laissa surpris un instant.

— Je lui fais pas confiance, souffla-t-il spontanément.

— Moi non plus. (Comme il ouvrait la bouche d'étonnement, elle ajouta d'un ton narquois :) C'est notre boulot d'être méfiants, Jay.

Le klaxon persistant d'un scooter qui passait à proximité couvrit la réplique bougonne de Jay. Évidemment qu'ils devaient se méfier de tous, surtout avec cette enquête. N'empêche que le sentiment de foncer droit dans un piège lui irritait les nerfs. Bruno Girandeau les ayant accompagnés tout du long, il n'avait pas osé échanger ses impressions avec son père. Nicolas n'affichait qu'un air poli et avenant depuis le début.

Jayden se serait laissé pris à son jeu. Il connaissait trop bien son père pour savoir qu'il n'affichait pas le fond de ses pensées. Il se demanda ce qui pouvait bien agiter son esprit.

La façade de leur hôtel ne tarda pas à apparaître entre deux immeubles anonymes. Le Conseil avait pris trois chambres pour éviter de grosses dépenses. Bruno Girandeau écoperait sûrement d'une pour lui-seul. Jayden grimaça à l'idée de devoir partager la sienne.

Une fois les cartes magnétiques récupérées à l'accueil, le groupe s'entassa dans l'ascenseur. Jay ne se gêna pas pour dévisager Bruno Girandeau à travers le miroir. L'homme était si propre sur lui, si calme... Sauf cette petite mèche rebelle qu'il remettait souvent en place.

Dans le couloir, Nicolas proposa à Freyja de garder la deuxième chambre simple pour elle. En s'efforçant de masquer son agacement – tentative ratée à voir l'expression moqueuse de sa collègue – il suivit son père dans la chambre double.

— Jay, attaqua Nicolas dès que la porte fut refermée derrière eux, prends ton téléphone.

L'intéressé obéit malgré la dizaine de questions qui fusèrent suite à l'ordre. Après quoi, Nico se mit à taper à toute vitesse. Jay attendit la vibration de la notification pour consulter ses messages.

« Si Bruno Girandeau est vraiment un survivant de l'attaque Kyra, tu te montres trop froid. On doit être à son écoute en tant que Corbeaux. Si jamais il ment, ta méfiance risque de l'inciter à agir différemment et de nous mettre peut-être en danger. Sois prudent et mesuré. Et fais attention à tes paroles, on ne connaît pas ses capacités réelles. »

Le message confirma les craintes de Jayden. En même temps, il le plongea dans une mélasse de gêne, de honte et de frustration. Cette sensation d'être rappelé à l'ordre comme un enfant trop bruyant...

Comme Jay ne pouvait littéralement pas protester à voix haute, il s'allongea sur son lit en serrant les dents. Une part de lui était étonnée qu'il n'ait pas déjà été renvoyé pour incompétence. L'autre se rappelait qu'on le gardait pour son magnétisme.


Le jeune homme s'éveilla d'une sieste non prévue quand son téléphone vibra entre ses mains. Comateux, il se redressa en lorgnant vers son père. Nico était installé au bureau, penché sur le dossier qu'ils avaient constitué sur Kyra.

Après s'être frotté les yeux, il déverrouilla son portable, s'attendant à un SMS de son père. Mais le contact indiquait « Kassandra Jordana ». Jay s'empara de sa gourde pour soulager sa gorge nouée avant de lire le contenu du message.

« Salut, Jayden. On a des informations urgentes à te transmettre sur l'UOM. Ça vous concerne ton unité et toi. S'il te plaît, donne-moi un endroit où te retrouver pour te dire tout ça. Nous sommes à Paris avec Ichika. Kass »

Jayden bondit du lit avant de déposer le téléphone sous le nez de son père. Nico se redressa, lui jeta un regard agacé avant de lire le message. Le pli au milieu de son front ne s'amenuisa guère. Il s'empara du portable de son fils, ouvrit ses notes et écrit.

« C'est bizarre. Pourquoi elles sont à Paris alors qu'elles étaient à Madrid il y a 2 jours de ça ? Pourquoi elles auraient des infos qu'on a pas ? Les Jordana ont pas à se mêler de cette enquête. Ils frôlent déjà la sanction par rapport à Amel Zahab. Ne lui réponds pas tout de suite »

Jayden claqua la langue de frustration avant de récupérer son téléphone pour noter sa propre réponse :

« On a une occasion d'avancer ! OK, elles veulent aider Kyra et pas l'arrêter. Mais si on partage nos infos »

Son père secoua la tête avant qu'il ait pu finir d'écrire sa phrase. Dépité, Jay ravala ses contestations et retourna s'asseoir au bord de son lit. Pour avoir passé quelques heures avec Kassandra et Ichika, il avait envie de leur faire confiance. Leur but n'était pas le même, mais leurs chemins pour y parvenir s'entrecroisaient. Plutôt que de se jeter des bâtons dans les roues, ne pouvaient-ils pas s'allier ? Au moins jusqu'à l'intersection finale, où leurs deux groupes feraient inévitablement chemins séparés ?

La frustration de passer pour un imprudent idéaliste auprès de son père et de Freyja lui remuait les tripes. Il n'avait pas été diplômé comme Corneille grâce à sa naïveté. Si on lui avait fait confiance, c'était aussi pour son sens de l'analyse et son intuition.

Résigné, le jeune homme lorgna le dos de son père. Lui envoya un bref SMS.

« Je vais voir Frey pour discuter de l'enquête. On se retrouve pour manger. »

Nicolas lui adressa un hochement de tête avant de retourner à son travail. Une fois la porte fermée dans son dos, Jay remonta le couloir. Au moins pour une fois depuis le début de l'enquête, il allait se fier à son intuition.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant